Abandonnée au cœur de l’été sur l’autoroute : le mystère de la petite martyre de l’A10Istock
Le 11 août 1987, à l'heure des grands départs en vacances, des agents d'entretien découvrent, sur le bas-côté de l'autoroute A10 Paris-Tours, la dépouille d'une fillette de 4 ans. Elle est couverte de bleus, de brûlures et même de morsures. A l'époque, les enquêteurs ne parviennent pas à l'identifier, malgré de nombreux appels à témoins. 30 ans plus tard, le mystère de la petite martyre de l'A10 a été, en partie, résolu. Mais le visage supplicié de l'enfant reste, à jamais, gravé dans les mémoires. Que lui est-il vraiment arrivé ? Et qui est-elle ? Retour sur un cold case que l'on croyait insoluble.
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On l’a longtemps appelé « la petite inconnue de l’autoroute A10 », et son sort a ému la France entière.

A l’aube du 11 août 1987, alors que des milliers de Français sont sur la route des vacances, des agents d’entretien font une découverte glaçante sur le bas-côté de l’A10 Paris-Tours, non loin de Suèvres, dans le Loir-et-Cher. Un petit corps est emmailloté dans une couverture, caché dans un fossé. « On a aperçu un paquet, une couverture enroulée avec quelque chose qui semblait suspect. J’ai vu la tête de l’enfant. Les pieds dépassés. J’ai fait le tour et j’ai aperçu l’horreur », témoigne à l’époque l’un des patrouilleurs au micro de France 3.

Le corps ne respire plus.Il s’agit d’une fillette aux cheveux bruns, bouclés et aux yeux marrons. Comble de l’effroi, elle est couverte de blessures : brûlures, hématomes, coupures, traces de fractures et morsures… La petite fille a vécu un véritable calvaire.

Martyre de l’A10 : le visage supplicié qui a bouleversé la France

Mais qui a bien pu s’acharner à ce point sur cet enfant ? Et surtout, qui est la petite victime ?

Pour les gendarmes, commence alors un long travail d’enquête. Les enquêteurs épluchent les signalements : mais personne n’a notifié leurs services de la disparition d’une fillette dans les environs. Plus de 65 000 écoles sont alors visitées, et de nombreux appels à témoins sont diffusés dans tout le pays. La photo, terrible, du visage supplicié de l’enfant, fait le tour de l’Hexagone, et bouleverse l’opinion publique.

Mais le mystère demeure. Nul ne sait qui est la petite martyre de l’A10. Personne ne vient réclamer sa dépouille, à tel point que le maire de Suèvres doit, conformément à la loi, organiser lui-même les obsèques de la victime.

« Nous n'étions qu'une dizaine, mais je peux vous dire que l'émotion était là. Le curé eu les mots justes, et, devant cette petite tombe, bien des larmes ont coulé… », se souvient Marinette Dael, une habitante, dans le Parisien.

Au fil des années, alors que l’enquête s’enlise, les anonymes refusent d’oublier la petite inconnue. « Sa tombe a toujours été fleurie », précisait encore Kléber Cousin, le maire de la commune à l’époque, dans les colonnes du quotidien en 2018.

Martyre de l’A10 : un cold case impossible ?

Dans l’espoir de connaître un jour la vérité sur l’identité de la petite martyre, les enquêteurs conservent précisément les scellés retrouvés sur place en août 1987… Et continuent leurs recherches, coûte que coûte.

En 2007, 20 ans après la triste découverte, grâce aux progrès techniques, plusieurs traces d’ADN sont isolées sur la couverture de l’enfant. Mais elles ne correspondent à aucun profil connu des services de police.

Le soufflé retombe. Mais là encore, les enquêteurs n’abandonnent pas ce qui est désormais un cold case. En 2012, un nouvel appel à témoins est lancé par la justice. Sans effet. Les gendarmes surveillent même les allées et venues autour de la tombe de la fillette, dans le cimetière de Suèvres, on l’on peut lire sur la stèle « à la mémoire de la petite fille inconnue de l’A10 ».

En 2017, leur acharnement finit par payer.

Martyre de l’A10 : 30 ans plus tard, un rebondissement inattendu

Cette année-là, l’ADN d’un homme arrêté en 2016 dans une affaire de violences est ajouté au FNAEG, le fichier national des empreintes génétiques. Stupeur : il s’agit du frère de la petite martyre.

Le rebondissement, inattendu après 30 ans de fausses pistes, provoque une onde de choc. Les parents de la fillette sont localisés, et rapidement interpellés. Ils sont séparés depuis 2010 et vivent dans l’Aisne et les Hauts-de-Seine. Ils ont six autres enfants ensemble.

En garde à vue, ils délivrent l’identité de la petite inconnue. Elle s’appelle Inass Touloub, elle est née le 3 juillet 1983 à Casablanca, au Maroc.C’est la troisième de la famille. A sa naissance, elle est confiée à sa grand-mère maternelle, avant de rejoindre le foyer nucléaire en 1984, à Puteaux (Hauts-de-Seine).

La fillette n’a jamais été scolarisée. Mais elle avait bien une existence juridique et légale. Pourtant, les parents d’Inass ne s’expliquent pas sur ce qui lui est arrivé.

Son père, Ahmed, raconte qu’il aurait vécu sous l’emprise de sa femme violente. Le 10 août 1987, il aurait trouvé la petite fille sans vie, en rentrant chez lui. « Elle est tombée dans l’escalier », lui explique sa femme. Cette dernière, Halima, déclare que c’était lui le conjoint violent et qu’elle n’a jamais donné plus que des gifles à sa fille. Les frères et sœurs d’Inass, eux, disent n’avoir aucun souvenir, et assurent que leurs parents n’ont jamais été violents avec eux.

Le double visage des parents d’Inass Touloub, la petite martyre de l’A10

Kléber Cousin, édile de Suèvres en 1987, confie dans le Parisien que la découverte de l’identité d’Inass est « un soulagement, je saurai donc la vérité avant de mourir, grâce à cette chose formidable qu'on appelle l'ADN… »

Dans l’Aisne, où les parents d’Inass s’étaient installés à la fin des années 1980, c’est l’incompréhension. Les voisins décrivent les Touloub comme des gens « discrets » bien que « mystérieux ». Leurs fils tenaient des petits commerces en ville : boulangerie, fast-food, boucherie…

Lorsque les parents se séparent en 2010, Ahmed, le père, part vivre à Puteaux, en région parisienne, où il ouvre à son tour une boucherie. C’est un homme « sympa » mais « fatigué et malade » racontent ses voisins, interrogés par le Parisien.

Au terme de leur garde à vue, les parents d’Inass ont été mis en examen pour meurtre sur mineur de 15 ans et écroués.

Mais le mystère demeure, car depuis leur cellule, les deux suspects continuent de se renvoyer la responsabilité de l’infanticide.

Quand au trajet en voiture jusqu’à l’endroit où le corps de l’enfant a été déposé, là aussi, Halima, 68 ans, et Ahmed, 71 ans, donnent deux versions contradictoires. Le père de famille explique qu’ils avaient décidé de se rendre au Maroc, dans la précipitation, et que c’est sa femme qui, sur l’autoroute, lui aurait sommé de s’arrêter pour y déposer la dépouille d’Inass. La mère, elle, assure que la fillette était vivante quand ils ont pris la route, et que c’est lui qui aurait choisir d’abandonner l’enfant sur le bas-côté de l’A10, peu de temps après avoir quitté la région parisienne.

L’instruction se poursuit, dans l’attente d’un procès devant les assises.