Affaire de Bruay-en-Artois : un ancien policier assure avoir découvert le coupable
INTERVIEW. C'est l'un des cold cases les plus retentissants du XXème siècle. En 1971, la jeune Brigitte Dewèvre, 15 ans, est sauvagement assassinée à Bruay-en-Artois, dans le Pas-de-Calais. On pense d'abord que le terrible crime est l'œuvre d'un notaire débauché de la ville, et l'affaire prend une tournure politique. Le « riche bourgeois » qui tue la « pauvre fillette », il y a de quoi provoquer l'ire de toute une classe sociale. Mais finalement, le suspect est relâché. Et l'enquête s'enlise. En 2005, après une succession de fausses pistes, l'affaire est prescrite. Le meurtrier de Brigitte ne sera jamais condamné. Mais un ancien flic, Daniel Bourdon, a mené une contre-enquête minutieuse pendant 5 ans. Et il pense avoir retrouvé le coupable.
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Brigitte Dewèvre venait d’avoir 15 ans. Avec ses parents, mineurs, et ses frères et sœurs, elle habitait un coron à Bruay-en-Artois, petite commune ouvrière du Pas-de-Calais.

Le 5 avril 1972, Brigitte se rend chez sa grand-mère, à pied, pour y passer la nuit. Elle n’arrivera jamais à destination. Le lendemain après-midi, on découvre son corps supplicié et en partie dénudé dans un terrain vague des environs. La jeune fille a été étranglée avec un lien. Elle n’a pas été violée.

Très vite, dans la région, les soupçons se portent sur le notaire Pierre Leroy et sa maitresse, Monique Bégin-Mayeur, dont la propriété jouxte le terrain vague. Surtout, le notaire traîne une sale réputation : on le sait célibataire et habitué des bordels de Lille. Le coupable idéal…

Le 13 avril, il est mis en examen pour « homicide volontaire ». Mais trois mois plus tard, il est disculpé. Trop peu d’éléments permettent de l’accuser véritablement, même si l’opinion publique, qui s’est emparée de l’affaire, est persuadée de sa culpabilité. C’est le « riche bourgeois » qui a tué la fille d’un mineur : la colère gronde chez les classes populaires.

Affaire de Bruay-en-Artois : cinq ans de contre-enquête et un coupable ?

Pour autant, l’enquête connait dès lors une série de fausses pistes et d’échecs. La maîtresse du notaire est mise en examen, puis relâchée à son tour. Et en 1975, Jean-Pierre Flahaut, un camarde de Brigitte, s’accuse contre toute attente du crime. Il sera, lui aussi, innocenté.

En 2003, à bout de pistes, la justice ordonne un non-lieu dans l’affaire, et en 2005, le crime est définitivement prescrit. Le meurtre de la petite Brigitte ne sera donc jamais jugé, quoi qu’il arrive.

Cela n’a pas empêché Daniel Boudon, ancien flic de la BAC à Paris, et originaire de Bruay, de mener pendant 5 ans une contre-enquête pleine de rebondissements, au terme de laquelle il assure avoir identifié, 50 ans plus tard, le coupable. Interview.

Affaire de Bruay-en-Artois, la contre-enquête : « la fille de mineur et l’ogre plein d’argent »

Pourquoi vous êtes-vous intéressé de près à cette affaire ?

Daniel Bourdon : Je suis né à Bruay, ma mère y habite toujours et j’y ai vécu jusqu’à mes 19 ans. La famille Dewèvre habitait à 200, 300 mètres de chez nous, et je connaissais bien son frère, avec qui je jouais au foot sur le fameux terrain vague. A l’époque du drame, j’avais 13 ans.

J’ai des visuels, je me souviens avoir aperçu le notaire au moment de la reconstitution, et puis mon cousin était policier à Bruay, j’étais donc en quelque sorte aux premières loges. Et puis, cette affaire a marqué tout le monde, on en parlait souvent. C’est l’une des affaires qui a le plus marqué le public à l’époque, je dirai même encore plus que l’affaire Grégory quelques années plus tard.

C’était la lutte des classes, la fin des charbonnages, une fille de mineur qui est tuée au bout de son jardin, un « ogre plein d’argent »...

Depuis combien de temps enquêtez-vous et comment vous vous y êtes pris ?

Cette enquête a duré cinq ans. Pour aborder le dossier, j’ai essayé de procéder comme dans une enquête de police standard. Et surtout, étant un ancien flic et un enfant du pays, je me suis rendu compte que beaucoup de portes s’ouvraient à moi sur ce dossier. J’ai eu certes des obstacles, mais aussi beaucoup d’appels et de témoignages, notamment après la publication du premier tome de mon enquête. Evidemment, il fallait « trier », et j’ai aussi pu compter sur certains « amis d’enquête », des gens qui connaissaient les rouages…

J’ai ainsi récolté quatre « gros » témoignages, inédits, qui mènent selon moi au vrai coupable.

Affaire de Bruay-en-Artois, la contre-enquête : « Je suis sûr à 100% que c’est lui »

Pouvez-vous nous en dire plus sur ces témoignages ?

Daniel Bourdon : Après la sortie de mon premier livre, un homme est venu me voir et m’a dit « vous vous trompez, moi, je connais le vrai assassin ». Il explique alors que son oncle par alliance aurait avoué le meurtre de Brigitte à sa femme, qui était donc sa tante. J’ai eu dans la foulée un rendez-vous téléphonique avec cette dame, une octogénaire, qui m’a raconté ce qu’elle avait vécu.

Elle habitait Bruay-en-Artois avec son époux. Le soir du crime, son mari rentre tard, vers 2 heures du matin, feux éteints, ce qui n’est pas dans son habitude. Elle avait peur de lui, c’était un homme violent, à la sexualité tordue. Et puis il aurait fait cette déclaration, et par la suite, l’aurait menacée : si un jour elle en parlait, il s’en prendrait à leur fils. La famille, qui venait pourtant de construire sa maison à Bruay, pas très loin du lieu du crime, a pris la fuite six mois plus tard, et ils se sont installés dans le midi.

Ce type était facteur, il avait aussi été par le passé viré de l’école de police pour des problèmes de comportement. Une fois dans le Midi, il commence à multiplier les maitresses, à fréquenter des jeunes femmes qu’il manipule… Sa femme et lui ont fini par se séparer. Elle n’a rien dit pendant des années, jusqu’à ce qu’il y a 6 ou 7 ans, leur fils décède d’un cancer. Elle décide alors de faire des déclarations à la police de sa ville. J’ai vérifié, elle s’y est bien rendue. Et point. L’affaire étant prescrite, rien n’a pu être fait.

Vous êtes convaincu qu’il s’agit de cet homme ?

Je suis sûr à 100% que c’est lui, car t out concorde selon mes vérifications. On m’a donné des éléments très précis. J’ai fini par rencontrer cet homme, d’ailleurs, et il a nié, évidemment. Comme dit sa femme, « il ment avec sincérité ». Il est d’ailleurs allé la voir ensuite, pour la menacer.

Aujourd’hui, je ne peux pas le dénoncer, car c’est contraire à la présomption d’innocence. Mais je suis convaincu.

Affaire de Bruay-en-Artois, la contre-enquête : « Dans ce bois, il s’est passé des choses avec des gamines »

Qu’en est-il du rôle du notaire et de sa maîtresse ?

Daniel Bourdon : J’ai continué l’enquête pour en savoir plus sur l’implication du notaire Leroy, même si je savais que ça n’était pas lui, mais j'étais persuadé que le corps avait été déplacé, car il était près du terrain de sa maîtresse, Monique Béghin-Mayeur, et comme le couple n’était déjà pas clair dans les yeux du public à cause de leurs soirées « tordues » avec des jeunes filles….

J’ai d’ailleurs eu des témoignages dans ce sens. Ce serait Jean-Pierre Dassonville, une jeune homme indigent de Bruay, qui aurait déplacé le corps, probablement suivant les directives du couple. Et mystère, un an plus tard, Dassonville disparaît complètement de la circulation… On peut légitimement se demander s’il n’a pas été assassiné à son tour, pour l’empêcher de parler...

Je n’ai pas eu de preuves là-dessus, car c’étaient des gens très influents, Pierre Leroy était l’un des hommes les plus riches du Pas-de-Calais… ça ne fait pas de lui un criminel, mais il était tout de même un peu tordu.

Et surtout, on s’aperçoit que dans ce bois, il s’est passé des choses avec des gamines… On m’a prouvé qu’’il y avait des gestes sexuels, des masturbations, qui étaient faites à des hommes en échange de quelques francs, et beaucoup de gamines du coin ont participé à ça à l’époque. Et beaucoup de gens se sont tus. Le notaire y allait certainement, et l’environnement du notaire, notamment au Rotary, probablement aussi…

Il y a beaucoup d’éléments troubles autour de ce petit monde, dont je parle dans mes livres.

Quel regard, en tant qu’ancien policier, portez-vous sur cette affaire emblématique ?

J’ai fait cette enquête, mais je savais que l’on n’obtiendrait pas réellement la justice, et puis je ne peux pas dénoncer le coupable.

Bien sûr qu’il y a eu du gâchis, et dès le début. Brigitte est découverte par son frère à 14h, la police n’arrive qu’à 17h, la scène de crime est polluée par 150 personnes, l’enquête de voisinage bâclée...

On dessaisit ensuite la police locale, on met un juge de la police financière en charge de l’affaire, et puis c’est le juge d’instruction Pascal, un bonhomme pagnolesque aux idées de gauche qui a voulu « se faire » le notaire à tout prix. Ils ont laissé tomber tous les éléments importants, ce qu’ils voulaient, c’était planter le notaire. Une affaire, une fois qu’elle est partie de travers, au bout de deux ou trois, c’est fini… Côté justice, côté flics, il n’y a eu que des erreurs de faites.

Daniel Bourdon a compilé son enquête dans trois livres, Brigitte, histoire d'une contre-enquête : Retour sur l'affaire de Bruay-en-Artois, éditions Ravet-Anceau (2017), Brigitte : Acte II : Affaire de Bruay-en-Artois, de nouvelles révélations, éditons Ravet-Anceau, (2018), Brigitte, acte final, éditions Flag, (2021)