Dans le premier convoi pour Auschwitz, l’histoire d’amour taboue entre un nazi et une jeune femme juive
Il y a 80 ans, 999 jeunes femmes slovaques étaient envoyées à Auschwitz, en Pologne, pour y construire le futur camp d'extermination nazi. L'une d'entre elles, la jeune Helena Citrónová, 19 ans, attire l'attention d'un officier SS, Franz Wunsch, âgé de 20 ans. Au milieu de l'horreur, les deux jeunes gens entament une relation à haut-risque, source, encore aujourd'hui, de nombreux tabous. Récit d'un amour impossible.
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Le 27 mars 1942, 999 jeunes femmes juives sont embarquées par les forces nazies dans le train DA 66 depuis Humenné, en Slovaquie, jusqu’à Auschwitz. Sur place, 999 geôlières allemandes les attendent. Le chiffre a été choisi avec soin par Himmler, le bras droit du Führer, qui versait dans l’occulte, pour « porter chance » au « grand projet de la Shoah ». Auschwitz est encore à l’état de chantier : il faut tout construire pour que le camp d’extermination soit à la hauteur de la « Solution finale », qui verra le jour un an plus tard.

Les pauvres slovaques ignorent qu’elles vont alors construire de leurs mains le camp où leurs semblables vont périr dans d’atroces souffrances ; elles pensent, dans le convoi qui les guident jusqu’à Auschwitz, qu’elles vont travailler dans une usine de chaussures.

« Ce n’était pas de l’amour »

La réalité sera tout autre. Elles sont contraintes de démolir des bâtiments à mains nues, et de bâtir un temps record des dizaines d’unités, en plein hiver, le crâne rasé et à peine vêtues. Plus des deux tiers des 999 jeunes femmes sont décédées avant l’année 1943, mortes de faim, de froid, victimes de tortures insoutenables ou suicidées face à l’horreur.

Parmi ces jeunes esclaves, il y a Helena Citrónová, une jolie Tchécoslovaque de 19 ans. La construction achevée, elle est assignée au tri des biens des déportés, un « poste » qui lui permet de garder sa chevelure intacte. Un soir, les « employées » du service sont conviées à venir chanter et danser pour divertir un groupe de SS, à l’occasion de l’anniversaire de l’un d’eux.

Une amie d’Helena, qui sait à quel point la jeune femme chante à merveille, la pousse à en faire profiter l’assemblée. Elle se met à entonner « Liebe war es nie », (Ce n’était pas de l’amour) une chanson allemande mélancolique. Franz Wunsch, un soldat SS, ne la quitte pas des yeux. Sa prestation achevée, il s’approche d’elle et lui demande de recommencer.

Frank Wunsch et Helena Citrónová : « Son amour confinait à la folie »

C’est la première fois qu’un officier s’adresse à Helena avec respec t. « Soudain, j'entendais une voix humaine et non un rugissement animal. J'entendais “s'il vous plaît” ! J'ai vu l'uniforme et pensé : “Mon Dieu ! Ce sont les yeux d'un être humain, non les yeux d'un tueur », confiera la Tchécoslovaque des années plus tard à la Shoah Fondation.

Frank Wunsch, 20 ans, est pourtant un SS comme les autres. Mais au fil du temps, Helena se laisse attendrir, car le soldat nazi se montre aux petits soins avec la captive.

Il lui apporte de la nourriture, des couvertures, et lui glisse des petits mots dans lesquels il promet de la sortir de là. Wunsch veille sur sa protégée, et ne s’en cache pas devant ses collègues. Les deux jeunes gens seront d’ailleurs questionnés, et torturés à plusieurs reprises après avoir été dénoncés par des collègues. Mais ils n’avoueront pas.

Lorsqu’Helena attrape la fièvre typhoïde dans le camp, le soldat passe son temps à son chevet, jusqu’à la regarder dormir. « Son amour confinait à la folie » relatera Helena. Franz prend de nombreux clichés de la jeune femme, et il les recopie à l’infini, découpant et recollant le visage d’Helena sur des cartes postales du monde entier, comme pour la faire voyager malgré tout.

Leur relation dure deux ans et demi. Helena devient la bête noire du camp, on la jalouse, on l’insulte... Mais elle tient bon car, selon elle, sa position auprès du SS lui permet de sauver des vies.

En 1943, Helena apprend que sa sœur et ses jeunes enfants viennent d’être déportés à Auschwitz. La mère de famille est directement envoyée à la chambre à gaz. Helena court la rejoindre : elle est rattrapée de justesse par Wunsch, qui convainc aussitôt le docteur du Krematorium d’épargner Ruzinka, la sœur de celle qu’il aime. Ses enfants ne pourront, eux, pas être sauvés.

En 1944, au moment d’évacuer le camp, les sœurs s’enfuient pendant une terrible « marche de la mort ».

Peu de temps avant , Franz fait ses adieux à Helena et leur confie, à toutes deux, des bottes fourrées pour leur permettre de survire aux dizaines de kilomètres qu’elles doivent parcourir sous une épaisse couche de neige.

Frank Wunsch et Helena Citrónová : « J'étais ternie, il était un SS »

Pour autant, la question se pose encore aujourd’hui : dans un tel contexte d’horreur, d’inégalité et d'emprise, peut-on parler d’amour ?

Helena avait-elle vraiment des sentiments pour l’officier SS, ou bien était-ce son instinct de survie ?  Nul ne le sait vraiment. Mais en 1972, Helena, contactée par la femme de Franz Munsch, accepte de témoigner au procès de l’ancien SS. L’homme est acquitté.

« J’étais quelqu'un d'autre, et tout le monde était au courant de cette histoire. J'étais ternie, il était un SS. Mais le fait est qu 'il m'a sauvé la vie. » témoigne Helena, alors âgée de 80 ans, dans le documentaire israélien « A Different Love » en 2003.

Pour la nièce de la survivante, qui connait bien cette histoire, « Franz n’était pas un pur monstre. C'était un officier SS sadique, aucun doute. Mais il était également romantique, tendre, capable d'un amour pur et de compassion. Helena n'est pas non plus la classique victime qu'on pourrait imaginer: c'est une femme solide, dotée d'un fort instinct de survie, prête à faire ce qu'il faut pour se sauver, ainsi que sa sœur. Les zones grises entre monstruosité et pureté sont celles qui me poussent à raconter cette histoire.»

Helena est décédée en juin 2007, en Israël, où elle s’était installée après la guerre.

Quand à Franz, sa fille témoigne dans le documentaire «Love It Was Not » de Maya Sarfaty : « C'était l 'amour de sa vie ».

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