« Je dois te toucher pour te guérir » : Caroline, agressée par un prêtre, témoigneIstock
INTERVIEW. A l'âge de 20 ans, Caroline subit les assauts d'un prêtre au sein la communauté religieuse des Béatitudes. Sous le choc, la jeune femme enfouit son traumatisme. Surtout que l'homme, adulé par les fidèles, semble intouchable. Mais en 2018, tout va ressurgir brutalement. Caroline décide alors de se battre, pour elle, mais aussi pour toutes les autres victimes de la pédocriminalité au sein de l'Église. Entretien.
Sommaire

Elle croit toujours en Dieu. Pourtant, c’est sa foi qui l’a déposée, indirectement, entre les griffes de son bourreau.

Lorsqu’elle n’a que 14 ans, Caroline Pierrot est victime d’un premier traumatisme. Elle est agressée sexuellement, en pleine rue, dans son village de Bourganeuf (Creuse). Son agresseur n’ira jamais en prison.

Croyant lui offrir la sécurité, ses parents décident d’inscrire Caroline dans un internat catholique, à Limoges.En fervente chrétienne, l’adolescente se rend à Lourdes, où selle se lie avec des religieuses affiliées au mouvement des Béatitudes. C’est dans cette communauté qu’elle rencontre le père M. Cet homme de Dieu, que l’on vient voir de la France entière, est un « prêtre star », car il aurait le don de guérison par les mains.

Caroline, abusée par un prêtre : « Il était idolâtré »

Caroline, 20 ans, ne se remet pas de l’agression dont elle a été victime 6 ans plus tôt, et décide de s’en confier au religieux. Elle ignore alors qu’elle va vivre l’horreur, à nouveau. 30 ans plus tard, le douloureux souvenir la hante encore.

Elle a accepté de nous raconter son histoire et son combat, aujourd’hui, pour lutter contre l’omerta et la pédo criminalité dans l’Église. Interview.

Comment vous êtes-vous retrouvée au sein de la communauté des Béatitudes ?

Caroline : Lorsque je suis allée à Lourdes, ils étaient partout dans les rues. J’avais 18 ans, ils étaient joyeux, beaux, il y avait une ferveur. Chez moi, la séduction a bien opéré. Je n’ai pas été élevée dans la foi, alors c’était une grande découverte. J’ai aussi été séduite par les chants, je ne pensais pas qu’il pouvait y avoir des chants si beaux dans les églises.

C’était une communauté, considérée comme une association de fidèles, et non comme une réelle communauté religieuse. Quand on y entrait, on devait faire des vœux, ça faisait partie du package. On était donc en quelque sorte des religieux.

Comment avez-vous rencontré ce prêtre ? Quel était son profil ?

Il était prêtre à la mission de France, mais il avait un rôle de père spirituel dans la communauté. C’était un homme avec une aura énorme, des cars entiers venaient pour le voir. Il était idolâtré. Les gens venaient pour ça, file d’attente de deux trois heures. Certains journaux chrétiens lui faisaient même de la pub…

L’Église n’a jamais cherché à calmer le jeu, sachant ce qu’il se passait. Des centaines de personne venaient faire des retraites pour lui, c’était tout de même quand même assez louche. D’autant plus que j’ai appris, quand j’ai déposé plainte il y 4 ans, qu’une vingtaine de premières plaintes avaient déjà été déposée s’il y a 25 ans auprès de l’Evêque, et que personne n’en avait parlé. Cela a été complètement étouffé. On lui avait seulement demandé de « prendre du recul » pendant un mois.

Caroline, abusée par un prêtre : « J’avais déjà la tête sous l’eau mais lui, il me l’a enfoncée »

Que s’est-il passé lorsque cet homme vous a agressé ?

Caroline : c’était le confesseur de la communauté. Je suis donc allée me confesser plusieurs fois à lui, et tout se passait bien au début. Mais un jour, je n’étais pas bien. Des images de mon agression lorsque j’étais adolescente me revenaient. J’avais toujours un fort ressentiment contre l’homme qui m’avait laissé pour morte à 14 ans. Je suis allée le voir, et il m’a demandé de lui raconter. Je n’en parlais jamais à personne, mais lui, c’était un prêtre… Et là, il m’a sauté dessus. Il m’a dit : « il faut que je te touche là ou cet homme t’as touché pour que Jésus te guérisse ».

J’étais sidérée. A l’époque, je n’avais pas 20 ans, et lui était adulé comme pas possible. Il m’était impossible de parler. Alors j’ai enfoui, j’ai pensé que je l’avais peut-être rêvé. Pendant les années qui ont suivi, cela a pourtant bouleversé mes choix de vie, d’amis… J’avais déjà la tête sous l’eau mais lui, il me l’a enfoncée.

En 2018, ce traumatisme va remonter à la surface…

Quand la parole s’est libérée, il y avait des émissions sur le sujet. En tombant, un jour, sur un documentaire concernant les religieuses abusées, en 2018 j’ai revu les images que j’avais tenté d’enfouir et je me suis dit : « non ce n’est pas lui, ce n’est pas possible ». J’étais très crédule, malléable. J’ai tout de même recherché son nom sur internet, et là, j’ai appris que l’année passée, il avait été jugé au tribunal canonique pour des « gestes déplacés ». Là, je me suis dit « il n’y a pas que moi ».

J’ai appelé l’Evêque concerné, et je lui ai expliqué qu’il ne s’agissait pas de « geste déplacés », que c’étaient bien des agressions sexuelles. Il m’a répondu : « oui, mais c’est passé ». Il m’a conseillé de porter plainte au civil pour qu’un nouveau procès canonique soit envisagé.

J’ai donc écrit au procureur de la République du Loir-et-Cher, pour raconter ce qui m’était arrivé il y a 30 ans. Je pensais qu’il allait se dire « elle est atteinte celle-là ! ». Mais il a ouvert une instruction.

Caroline, agressée par un prêtre : « Il y a une omerta énorme »

Ce prêtre a t-il fait d’autres victimes ?

Caroline : Après l’ouverture de l’enquête, une dizaine de personnes ont déposé plainte. Les enquêteurs sont allés entendre des personnes de la communauté qui ont dit que le prêtre était trop malade pour être entendu…

Il est décédé deux ans après, mais à l’époque il continuait à recevoir ! C’était une stratégie pour échapper à la justice, ces gens-là sont les rois de la stratégie, et ils ont des gens dans la manche prêts à les aider.

Ces communautés là ont une aura très puissante, et il y a une grande emprise. Ils n’assument pas du tout la responsabilité de ce qu’il s’est passé.

Votre agresseur est mort en octobre 2019 et ne sera jamais jugé… Est-ce difficile à vivre ?

Pas tellement, car les médias m’ont donné une grande place. Cela lui a permis de me voir avant qu’il ne meure. Même si j’avais la trouille de parler à l’époque, je me dis que finalement avec un procès, il aurait tout fait pour s’en sortir, il était âgé… Alors que là, que ça vienne des victimes, que ça crée un tel raz-de-marée, que la justice s’y intéresse… Ne pas avoir de procès ne veut pas dire qu’on n’aura pas réparation.

Vous avez créé une association pour aider les victimes d’agressions sexuelles au sein de l’Église. Il y a un tabou particulièrement fort dans ce milieu, une omerta ?

Oui. Récemment, le Pape a fait dire aux évêques qu’il fallait arrêter de cacher les choses comme ils l’ont fait pendant des siècles, mais il n’est pas beaucoup écouté. Il y a une omerta énorme. On le voit bien dans les relations avec les évêques, ils tiennent à leur place, ils ne font pas de vagues. Mais ils auront un tsunami en retour.

Vous recueillez beaucoup de témoignages au sein de votre association ?

Beaucoup. Honnêtement, ça m’a surpris. Des personnes m’appellent même de l’étranger, elles ne vivent plus en France, où elles ont été agressées il y a des années. Toutes me disent qu’elles souffrent aujourd’hui de problèmes d’angoisse , et physiquement, nous avons tous les mêmes symptômes au dos, dans les dents, des TOCs… C’est un syndrome post traumatique.

Cela détruit des vies. Une femme m'a raconté que sa fratrie entière a été victime de leur oncle prêtre : un de ses frères s'est suicidé, une de ses soeurs est devenue alcoolique et est décédée. Elle a perdu un frère et une soeur.

Caroline, agressée par un prêtre : « Ça a a brisé ma vie »

Vous avez témoigné auprès de la commission Sauvé en octobre dernier. Qu’attendez-vous, aujourd’hui, de la justice, de la loi et de l’É glise ?

Caroline : J’ai été auditionné par Antoine Garapon, et c’était un moment important de ma vie, car on m’a permis de parler, de dire ce qu’il s’était passé. On a légitimé ce que j’avais vécu, enfin on me croyait.

Aujourd’hui, j’attends que tout cela bouge. Visiblement, l’Église a décidé de bouger au rythme de la conférence des évêques, c’est-à-dire tous les 6 mois, à ce rythme-là dans 10 ans on y est toujours. On doit donner les moyens aux commissions de recevoir les victimes, et de reconnaitre les victimes en tant que telles, et d’offrir réparation à ceux qui la demandent, selon les barèmes légaux.

Comment essayez-vous de vous reconstruire ?

C’est compliqué. Du jour où je suis sortie de cette amnésie traumatique, je me suis rendue compte de tout ce qu’avait été ma vie... Ça a brisé ma vie. Aujourd’hui, j’ai 54 ans, je suis célibataire avec un chat… et finalement, je me dis que j’ai l’impression d’être passée à côté de ma vie.

Lorsque j’étais jeune, c’était imprimé, j’étais formatée et si je voulais suivre le Christ, c’était cette option là et pas une autre. On nous obligeait à nous confesser pour des broutilles, quand on voit ce qu’eux ont été capables de faire… J’ai honte.

Il y a toute une génération la génération Jean Paul II, des quinquagénaires aujourd’hui, qui ont été sacrifiés dans ces communautés nouvelles. Il y a eu trop de mal de fait, trop de malheureux.

J’ai eu trois opérations de la colonne vertébrale, une incapacité à travailler, et un suivi psy pour dépression. Je ne le souhaite à personne, et j’aurai au moins aimé, car je sais que la communauté en question me suit sur les réseaux sociaux, qu’ils m’envoient un message, qu’ils s’excusent. Mais rien. Pour moi, ce sont des gens qui sont protégés, ils l’ont été pendant des années sous la tutelle de l’évêque de Toulouse.

Dans l'Église catholique, il y a plein de choses qui ne vont pas : si j’écris par exemple au Vatican, et que je donne le nom de la communauté mise en cause, ils vont envoyer le courrier à la communauté ! Il y a vraiment tout un tas de manières de faire à revoir…

Vous avez toujours la foi ?

Heureusement, je n’ai pas perdu la foi, sinon je pense que je ne serai plus là. Par contre, ma vision de l’Église a changé. Moi, que je voulais, c’était combattre de l’intérieur, pour dénoncer les différents cas de pédocriminalité, de viols et d’agressions sexuelles, de maltraitance.

L’Église s’est exprimée en octobre, en disant qu’elle allait se mettre au travail dans ce sens et trouver de l’argent, mais rien n’a encore été fait. Ils ne m’auront pas avec des carambars… Il faut faire plus.

Et puis, je demeure persuadée qu’il n’y a aucune raison que ça soit eux qui fixent le montant des réparations. Avant d’être chrétienne, je suis républicaine, née dans un hôpital laïc : c’est l’Etat qui doit fixer le montant des dommages. Les lois de la République doivent être au-dessus de celles de l’Église.