La Famille : les secrets du clan le plus mystérieux de FranceIstock
INTERVIEW. Fondée il y a 200 ans, la Famille est passée sous les radars durant des décennies, avant que son existence ne soit dévoilée au grand jour. Mariage entre cousins, croyances, problèmes de consanguinité... Le journaliste Nicolas Jacquard a plongé dans ce huis-clos qu'on ne rejoint que par la naissance. Rencontre.
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Un anonymat recherché, protégé, revendiqué. Pendant des décennies, les membres d’un même clan, baptisé la Famille, sont passés sous les radars à Paris, en banlieue et dans quelques coins de France où ils ont pu se rendre. Aujourd’hui, ils sont près de 3 000 à faire partie de ce groupe religieux qui organise ses propres rites et respecte ses propres règles. Le voile a bien été levé une ou deux fois par le passé et les autorités avaient entendu parler de cette communauté dans laquelle on n’entre que par la naissance et dont on sort difficilement. La Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) la surveille depuis plusieurs années, mais ne la classe pas comme une secte.

La Famille : 200 ans, 3 000 membres, 8 patronymes

Si certains connaissaient depuis longtemps l’existence de cette étrange Famille, une enquête menée par le journaliste Nicolas Jacquard, et publiée dans Le Parisien à l’été 2020, la révèle au grand jour. Tout commence par un message assez flou, envoyé sur l’interface du quotidien – biais par lequel les lecteurs peuvent contacter la rédaction – et qui lui est transféré. Un homme, Alexandre, explique alors que ses enfants sont dans une secte et qu’il a besoin d’aide. Intrigué, le journaliste échange quelques SMS avec lui, mais « ça n’est pas très clair ». « Les débuts sont un peu tendus, il me prend un peu de haut donc je l’envoie un peu bouler », nous explique Nicolas Jacquard. 

Ils sont 3 000, pratiquent l'endogamie comme une science, en attendant l'apocalypse. "Les #Inspirés" paraîtront le 26 août chez @robert_laffont. Le résultat de près de 2 ans d'enquête sur la #Famille, mystérieuse tribu religieuse dont les membres se racontent pour la 1ère fois. pic.twitter.com/to77aBIihr

— Nicolas Jacquard (@nicojacquard) August 19, 2021

Il lui faut attendre le confinement de mars 2020 pour se replonger dans cette histoire. À ce moment-là, pour la première fois depuis sa prise de contact, il prend le temps de l’écouter… Et a le déclic. Cet homme lui conte alors une histoire « étonnante, étrange, presque surréaliste » qui a pour décor une famille de 3 000 personnes, dans laquelle se mélangent seulement huit patronymes. On ne s’y marie qu’entre cousins et on respecte à la lettre une série de dogmes qui règlent la vie quotidienne, de la naissance à la mort. C’est alors que commence son enquête sur cette Famille tentaculaire, dont les secrets sont bien gardés.   

La Famille : la solidarité, « valeur cardinale » du clan

L’enquête publiée par Nicolas Jacquard fait grand bruit et est reprise par de très nombreux médias. Très vite, il sent qu’il y a d’autres choses à approfondir et, contacté par plusieurs éditeurs, il décide d’en faire un livre. En écrivant sur la Famille pour Le Parisien, Nicolas Jacquard n’a eu que les explications de sortants et n’a pu avoir aucun contact avec des membres encore présents au sein de la communauté. La publication lui permet, pour son livre, d’en rencontrer certains qui acceptent de lui parler, notamment Lucien [le prénom a été changé, NDLR], un « porte-parole officieux de la famille ». Le journaliste a quand même dû mener, en amont, un « gros gros travail de conviction » pour pouvoir obtenir des réponses à ses questions. 

Si la Famille se fait si discrète, c’est parce que l’extérieur est vu comme un danger. « On dit que le monde est méchant, cruel et qu’il faut s’en méfier », ajoute Nicolas Jacquard. On y vit en huis clos et, si la grande majorité de ses membres travaillent à l’extérieur, aucune relation n’est nouée avec les collègues ou toute autre personne étrangère au clan. Le seul droit d’entrée est celui du sang et, une fois qu’on a pris ses distances, c’est pour toujours. L'entre-deux n'existe pas.

Comme l’explique Nicolas Jacquard, on ne s’y marie qu’entre cousins et toute implication du monde extérieur est vue comme un trop gros risque, y compris la médecine. Son livre Les Inspirés met aussi en avant une « valeur cardinale » de la communauté : la solidarité. « C’est ce qui, à mon avis, représente le mieux la famille », nous explique le journaliste : « On est là les uns pour les autres et c’est ce qui rend ce clan fascinant : elle fait corps pour le meilleur et pour le pire, aussi ». Les cousins se cotisent pour ceux en difficulté, ils viennent aider à déménager l'appartement et, surtout, viennent veiller un mourant jusqu'à son dernier souffle. Seulement, cette solidarité est à double tranchant, car « à un moment, le collectif à tendance à nier l’individualité ». L’importance du groupe s’observe aussi dans la mort car, à son décès, un cousin est enterré au carré des indigents du cimetière de Thiais. Les tombes y sont certes individuelles - on ne parle plus de fosse commune - mais anonymes. 

La publication de l'enquête de Nicolas Jacquard a dévoilé une autre facette de cette communauté, la consanguinité.  

La Famille : le problème de la consanguinité

En 1819, les membres fondateurs de la Famille unissent huit couples, dont les membres actuels sont donc logiquement les descendants. 200 ans plus tard, leur fonctionnement se heurte à la génétique et aux problèmes liés à la consanguinité. Nicolas Jacquard, qui a pu échanger avec de nombreux membres de la communauté, explique qu’aujourd’hui, elle est « prise en considération ». « Ils reconnaissent le problème, ils n’ont pas d’autres choix de dire que ça existe mais, pour eux, ils n’ont pas le choix, de par leur manière de fonctionner », ajoute le journaliste. S’ils n’ont pas le choix, c’est parce qu’ils n’entendent pas changer leur mode de vie, ni s'ouvrir au monde extérieur.

Pourtant, comme l’expliquait Planet à la lecture du livre, de graves problèmes de santé apparaissent chez certains enfants, dont la durée de vie est raccourcie comme peau de chagrin. C'est un risque que prennent certains couples qui se forment, même si - dorénavant - on tente de démêler l'arbre généalogique de chacun avant de se marier. Si certaines branches au sein du clan échappent aux problèmes liés à la consanguinité, d'autres sont frappés par des maladies extrêmement rares dans la population mondiale, mais qui se transmettent de génération en génération au sein de la Famille. 

La Famille : un huis clos difficile à quitter

Cantonner la communauté au mariage entre cousins et au refus du monde extérieur serait caricatural. Dans son livre, Nicolas Jacquard a fait un important travail de recherche sur l'origine du clan et de ses croyances. Des pères fondateurs aux figures qui lui ont donné son aspect d'aujourd'hui, il a pu remonter l'histoire de ses 3 000 membres actuels, dont la grande majorité n'avait pas connaissance. C'est une des spécificités de la Famille : seule une poignée de ses membres a accès aux textes fondateurs.

Entre-soi, peur du monde extérieur, solidarité... La Famille est difficile à quitter, mais certains y sont parvenus. Il leur en a fallu du courage pour renoncer au seul fonctionnement qu’ils connaissaient, pour tourner le dos à leurs parents, grands-parents, frères et sœurs et bien sûr, tous leurs cousins. Nicolas Jacquard leur donne la parole dans son livre et décrit « l’isolement du partant qui se retrouve mis au banc de cette communauté, qui se retrouve tout seul dans ce vaste monde ». Le travail de (re)construction est long, mais certains parviennent à mener une vie en dehors, avec conjoint, carrière et enfants. Pour beaucoup, c’est un travail qui prend des années. 

Poussée dans la lumière par ces enquêtes, la Famille accepte désormais plus facilement de se livrer, comme l'a récemment montré un long reportage de BFMTV. Plus d’un an après sa première plongée au sein de la Famille, Nicolas Jacquard pense que cette dernière « va continuer à évoluer ». Les lignes vont bouger, mais dans quel sens ? Là encore, c’est la communauté qui tient la barre du navire.