Le naufrage du « Titanic de la Méditerranée », le drame oubliéIstock
Peu de gens connaissent l'histoire funeste du paquebot « Le Lamoricière », dont le naufrage en 1942 a fait les gros titres, lui valant le surnom de « Titanic de la Méditerranée ». Un accident au terrible bilan : sur près de 400 passagers, seuls 90 ont survécu au drame.
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C’était il y a quatre-vingt ans, entre Alger et Marseille. Le 9 janvier 1942, en pleine guerre mondiale, « Le Lamoricière », un paquebot français, fait naufrage, en pleine matinée, après avoir lutté contre une violente tempête toute la nuit. 

Sur les 394 passagers, 304 périront, emportés par les flots.  Ce drame occulté de l’histoire, les descendants des victimes eux, ne l’ont pas oublié. Mais que s’est-il vraiment passé ? 

Le Lamoricière était un paquebot de la compagnie générale Transatlantique, conçu pour relier différentes villes d’Afrique du Nord à Marseille, devenu le principal port français pendant l’occupation. Construit en 1921, il fait environ 117 mètres de long, 15 mètres de large et 10 mètres de creux, pour une vitesse de 18 nœuds. A l’intérieur, les équipements sont tout confort. 

Les faits

Le 6 janvier 1942, le paquebot prend la mer, depuis Alger, pour rejoindre Marseille. 

A son bord, près de 400 passagers. Des familles, des militaires, mais également des espions, au service des alliés. Parmi eux, Jerzy Rosycki, un mathématicien polonais recherché par la Gestapo pour avoir décrypté en 1933 le code Enigma utilisé par l’armée allemande. Il voyage alors sous une fausse identité.

Ce jour-là, la mer est très agitée. Le commandant, Joseph Milliasseau, décide tout de même de poursuivre sa route. Le lendemain de son départ, Le Lamoricière reçoit un appel de détresse d’un cargo, en difficulté au large des Baléares. Le bateau se déroute pour lui porter secours. Mais il arrive trop tard. Sur place, Le Lamoricière est alors pris dans une violente tempête. 

De l’eau finit par s’engouffrer dans les soutes, à travers des sabords mal joints, et le navire commence à prendre l’eau. La chaufferie est rapidement inondée. 

Le 8 janvier, dans la nuit, les lumières s’éteignent. Les passagers sont réveillés en trombe.

Le 9 janvier, vers 11 heures du matin, la décision de faire évacuer le paquebot est prise.

Pour donner du courage aux passagers paniqués, seize jeunes enfants d’une colonie de vacances présente sur le navire entonnent des chansons sur le pont. Quelques heures plus tard, quatorze d’entre eux mourront, submergés par les eaux. 

Car malheureusement, la plupart des canots sont emportés par les flots ou détruits par la mer déchaînée. Les passagers se retrouvent dans l’eau, glacée, à se débattre dans la houle pour tenter de rester en vie. 

Quelques-uns seront sauvés par des navires sauveteurs, au prix de moult efforts. 

Finalement, 304 personnes ont péri dans le naufrage. Un bilan terrible, qui vaudra alors au Lamoricière le surnom de « Titanic » de la Méditerranée. Le drame va d’ailleurs endeuiller la France pendant plusieurs semaines. Mais au milieu de la guerre, l’évènement finit par être oublié de l’histoire. Pourtant, en 2008, une découverte incroyable va réveiller les fantômes du Lamoricière… 

La découverte de l'épave, soixante ans plus tard

En mai 2008, une équipe de plongeurs italiens et espagnols découvre, au large de Minorque, une île des Baléares, une partie de l’épave du Lamoricière. Cette découverte, après des années de recherche, et de nombreux échecs, est inespérée. 

Une équipe de scientifiques identifie formellement la proue de l’appareil, où apparaît encore le nom du navire. Elle se trouve alors à 156 mètres de profondeur.  La poupe du bateau, qui s’est détachée, est inaccessible : elle serait tombée derrière un ravin à plus de 300 mètres de profondeur. Elle n’a jamais été retrouvée. 

En 2008, la découverte de ces restes a ravivé de terribles souvenirs dans les mémoires des rescapés, plus de soixante ans après les faits. 

Les témoignages des rescapés

L’année de la découverte de l’épave, Gérard Bénessy, le seul survivant encore vivant alors s’est exprimé dans les colonnes du Figaro. A l’époque, il était engagé dans l’armée de l’air en Algérie. 

« Le soir du départ, la mer était déjà grosse », se rappelle le vieil homme. « La mer était tellement démontée que, très vite, la plupart des passagers sont tombés malades. Le lendemain du départ, on nous a même fait dîner dans la salle à manger des premières classes. Nous n'étions que 13 à table », poursuit l’ancien soldat. 

« Une vague monstrueuse »

« Deux jours après le départ, le commandant nous a prévenus que nous nous portions au secours du Jumières, en difficulté au large de Minorque. Mais en arrivant sur zone, on n'a pas trouvé de bateau. Alors, on a fait demi-tour et c'est là qu'on a reçu les premiers paquets d'eau. Les soutes à charbon qui fermaient mal étaient restées ouvertes ». Gérard est alors réquisitionné, avec d’autres militaires, pour tenter de rééquilibrer le bateau. Sans succès. « J'ai eu de la chance. J'étais un très bon nageur. C'est pour cela que je m'en suis sorti », expliquait le retraité. Tous ces amis ont péri dans le naufrage. 

A l’époque, d’autres rescapés avaient livré un témoignage glaçant sur cette terrible nuit du 9 janvier 1942. Ainsi, Maguy Courau-Dumond, interrogée par le Journal des Débats Politiques et Littéraires quelques jours après le drame, raconte : « Un premier canot fut mis à la mer, une vague monstrueuse le souleva, puis le retourna. (...) À 13h25, je me suis jetée à l'eau et j'ai pu gagner un autre radeau, sur lequel avaient pu prendre place aussi des hommes d'équipage ». 

Son radeau finira également par se retourner, après plusieurs heures de lutte contre les vagues. Maguy se retrouve alors dans les eaux glaciales de la Méditerranée. « Nous nous débattions, glacés maintenant, sans force. C'est l'équipage d'un aviso qui parvint, au prix d'efforts surhumains, à recueillir la plupart d'entre nous », racontait la survivante. 

Les familles des victimes mènent l'enquête

Aujourd’hui, 80 ans après le drame, les familles de victimes n’ont pas oublié le naufrage du Lamoricière. 

Le grand-père d’Isabelle Cardin, généalogiste à Rennes, est l’une des victimes. 

Mais jusqu’à récemment, sa famille n’a jamais vraiment su ce qu’il s’était passé ce jour-là. « À cause de la guerre, les conditions du naufrage sont restées obscures, poursuit Isabelle. Pendant des années, à chaque fois qu’on sonnait à sa porte, ma grand-mère imaginait que c’était son mari qui revenait », raconte-t-elle à Ouest-France.

Alors, Isabelle va mener sa propre enquête, notamment en contactant des familles de naufragés. Ensemble, ils parviennent à comprendre le déroulé précis des faits. 

Le Lamoricière était en réalité fragilisé par sa transformation, au début de la guerre, visant à le faire désormais tourner au charbon. Surtout, pendant sa lutte contre les flots, le navire n’a pas pu riposter de façon efficace, à cause de la mauvaise qualité de son charbon. « Les Allemands se réservant le meilleur charbon, les bâtiments français devaient se contenter d’un ersatz qui ne leur permettait pas d’utiliser leur pleine puissance », rappelle Isabelle.

Un mémorial pour les naufragés

Dimanche 9 janvier 2022, c’était le 80ème anniversaire du naufrage. Pour l’occasion, Isabelle a tenu à organiser un hommage au cimetière Saint-Pierre de Marseille. Une trentaine de familles ont fait le déplacement. « Beaucoup étaient des petits-enfants de naufragés. ​Mais il y avait aussi quelques enfants disparus et même une dame qui a perdu son jeune frère – alors âgé de 10 ans – dans le naufrage », relate Isabelle au journal. 

Aujourd’hui, ces familles souhaitent que la ville de Marseille régie une stèle, ou un mémorial, à la mémoire des victimes de ce drame oublié. 

L'État français n’a pour sa part jamais reconnu l’épave du Lamoricière comme mémorial maritime sous-marin.