« Mon mari a tué mes deux enfants et je lui ai pardonné » : le témoignage rare de Patricia
INTERVIEW. C'est l'histoire d'une famille en apparence parfaite, pour laquelle tout va soudainement basculer. Pendant de longues années, Patricia et son mari vivent heureux avec leurs deux enfants en Normandie. Mais un jour, la mère de famille, qui ne s'épanouit plus dans son couple, décide de divorcer. Pendant quelques mois, Patricia et Jacky se partagent alors la garde de leurs deux enfants Lucie et Sylvain, âgés de 6 et 7 ans. Le matin du 6 septembre, lorsque Patricia se rend chez son ex-mari pour les récupérer, elle trouve la porte close. Et quand les pompiers pénètrent à l'intérieur du domicile, c'est l'horreur. Jacky a abattu ses deux enfants avec une carabine avant de se donner la mort. Elle nous raconte comment elle a réussi à surmonter ce drame terrible, et à « pardonner » au meurtrier de sa chair.
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C’est une histoire à peine croyable, un véritable cauchemar. Le 6 septembre 1990, Patricia découvre les corps sans vie de ses deux enfants au domicile de son ex-mari, qui s’est également donné la mort.

Pourtant, pour la mère de famille, tout avait bien commencé. En 1979, elle se marie avec un jeune homme charmeur pour lequel elle a le béguin depuis son adolescence. Le couple s’installe à Saint-Valéry-en-Caux en Normandie, et très vite, Patricia tombe enceinte d’une petite fille, Lucie. Un an plus tard, c’est un petit garçon, Sylvain, qui vient agrandir la famille. Le tableau est parfait. Patricia aime ses enfants plus que tout au monde et elle s’épanouit dans son rôle de mère. Mais les années passent, et Patricia doit se rendre à l’évidence : son couple bat de l'aile.

En février 1990, alors que Lucie et Sylvain sont désormais âgés de 6 et 7 ans, elle fait part à son mari de son désir de prendre un peu de recul.

Et si dans un premier temps cette séparation se fait dans de bonnes conditions, le père de famille, désespéré à l’idée de perdre sa femme, ne va pas tarder à avoir des comportements pour le moins inquiétants. Quand Patricia lui laisse la garde de leurs deux enfants, Lucie 7 ans et Sylvain 6 ans, Jacky l’appelle en pleine nuit et lui dit qu’elle ne les reverra plus jamais.

Patricia Oddo : la décision qui interpelle

Même si Patricia refuse de croire que Jacky puisse faire du mal à des enfants, la mère de famille décide de prendre rendez-vous avec les services sociaux pour trouver un arrangement. Et contre toute attente, Jacky accepte d’y participer.

L’entretien est fixé au 6 septembre. Mais la veille, quand Patricia vient récupérer ses enfants après plus de 10 jours passés chez leur père, personne ne répond au domicile. Le lendemain matin, morte d’inquiétude, elle y retourne, et appelle les pompiers. Sur place, ils pénètrent de force dans le domicile de son ex-mari, et découvrent avec horreur les corps de Sylvain, Lucie et de leur père. Il les a tués d’une balle dans la tête, avant de retourner sa carabine contre lui.

Sous le choc, Patricia est transférée à l’hôpital. Après quelques jours de convalescence, elle retrouve le chemin de son domicile. Elle se met à culpabiliser de ne pas avoir tout tenté pour protéger vos enfants malgré les comportements inquiétants de Jacky. Mais elle est résolue à faire face à ses démons.

Patricia va enterrer ses deux enfants dans le même caveau que leur père, et sa décision interpelle.

Mais la mère de famille veut avancer, malgré le deuil terrible dont elle ne se remettra jamais. Elle fonde bientôt une nouvelle famille, et décide de « pardonner » son ex-mari. Pour elle, c’est une question de survie.

Patricia a accepté de nous raconter son incroyable résilience face à un drame inimaginable. Interview.

Patricia Oddo : « La culpabilité s’est évanouie le jour où j’ai écrit : Jacky est le meurtrier »

Pouvez-vous nous parler de vos enfants, Lucie et Sylvain ? Comment étaient-ils ?

Patricia Oddo : Lucie avait 7 ans, Sylvain en avait 6 ans. C’était des enfants très faciles à élever, et à aimer. Lucie était très en demande d’affection, elle était un peu craintive, elle n’avait pas confiance en elle et était un peu introvertie, la tête dans ses livres et ses poupées. Nous avions une grande complicité, elle était très sensible.

Sylvain, c’était tout l’opposé : un petit canaillou, qui courait tous les sens ! Il lavait plein de copains, et lui aussi était très demandeur de câlins et de bisous.

C’étaient des petits anges.

Y avait-il des signes avant-coureurs du drame ? Vous avez culpabilisé ?

Inévitablement, j’ai beaucoup culpabilisé. Quelque que soit la situation, quand on perd un être cher, la culpabilité est là. Quinze jours avant le drame, on s’est rencontrés avec mon ex-mari : il voulait reprendre vie commune et moi non. J’avais eu vent, de la part de Lucie, des propos alarmants qu’il tenait : il disait qu’il voulait mourir, que les enfants aussi allaient partir…

Il fallait que je protège mes enfants, que j’aille au bout de la séparation et de la procédure de divorce. Car c’était très aléatoire les visites, et je subissais plus qu’autre chose.

Donc évidement, bien sûr que la culpabilité s’est installée très insidieusement. J’en ai souffert jusqu’à très récemment, il y a 6 ans, au moment de l’écriture du livre. La culpabilité s’est évanouie le jour où j’ai écrit « Jacky est le meurtrier de Lucie et Sylvain », et ça a tout transformé. Avant, je me suis disait « Lucie et Sylvain sont morts », je n’allais pas dans les détails. Je me suis enfin dit : moi, j’ai toujours fait tout ce qu’il fallait pour le bien-être de mes enfants, c’était lui le coupable et le seul.

Quand la culpabilité s’est évanouie, c’est vraiment passé par le corps, je me suis libérée d’un poids énorme. J’avais le droit d’être en vie, d’être heureuse.

Patricia Oddo : « J’avais promis à mes enfants que j’allais continuer à vivre »

Ne pas avoir droit à un procès, cela a dû être difficile...

Patricia Oddo : Exactement. Faute de procès, un coupable n’a jamais été désigné formellement pas la justice. Et on en parlait très peu de ce drame. Alors, pour continuer à vivre dans cette situation, c’est presque plus facile de le faire avec une culpabilité qui nous accompagne.

Physiquement, quand on essaie d’avancer, c’est dur : chaque jour, c’est très difficile, on ne sait pas pourquoi on se lève. Moi, je le faisais parce que j’avais promis à mes enfants que j’allais continuer à vivre, ça c’est cela qui m’a maintenue en vie, la tête hors de l’eau.

Vous avez décidé de les enterrer avec votre ex-mari. Pourquoi ?

A l’époque, j’ai enterré Lucie et Sylvain avec leur père, et non pas avec leur meurtrier.

Aux obsèques, j’ai tenu à faire un discours à l’église, et j’ai promis que j’allais continuer à vivre, car tant que j’étais en vie Lucie et Sylvain vivraient.

Vous avez très vite décidé de pardonner Jacky. Comment y êtes-vous arrivée ?

Pour moi, c’était une question de survie. J’ai pardonné pour continuer à vivre et trouver un jour la tranquillité. Je veux continuer à aimer Lucie et Sylvain, je ne veux pas avoir de la haine, de la colère, de la violence. Ce pardon m’a sauvé la vie. J’en parle souvent, même si les gens ne comprennent pas, il ne s’agit pas là d’« excuser » le geste, de donner le droit à l’autre de supprimer des vies, mais c’est pour se sauver soi, pour continuer à vivre sereinement, au quotidien.

Il n’y a pas de petit pardon pour vivre bien. Aujourd’hui ne sait plus s’entendre, se parler, se regarder… on s’éloigne de l’être essentiel, de notre humanité, on devient des robots, des êtres violents, qui consomment mais qui n’aiment plus.

Comment avez-vous tenté de vous reconstruire après un tel drame ?

C’était très difficile, au début, de me dire ; je vais continuer à vivre sans eux. Je pensais la chose impossible, et pourtant, j’ai avancé. Je me souviens très bien de m’être dit : je ne vais pas y arriver, et puis, plus tard, du moment où je me suis dit : je vais y arriver.

Bien sûr, je suis passée successivement par des états d’âme assez extrêmes et des grandes périodes de doute et de tristesse, de honte, de dégout… Jusqu’au moment où j’ai décidé de raconter cette histoire dans un livre. C’était une victoire pour moi de témoigner, de passer à la TV, de savoir que plein de gens allaient entendre parler d’eux.

Patricia Oddo : « Ma renaissance d’être à nouveau mère »

Vous avez eu le besoin d’avoir d’autres enfants très tôt. Ces nouvelles maternités vous ont-elles aidé?

Patricia Oddo : J’ai été entourée de beaucoup d’amour après le drame, ce qui m’a aidé. J’ai tendance à faire confiance assez facilement, alors que j’aurai pu m’enfermer et devenir méfiante, voire dégoutée des hommes. J’étais triste bien sûr quand je pensais à eux, mais je n’étais pas en colère contre la terre entière.

J’ai rencontré très vite Éric, et on s’est séduit. Nous avons eu Thibaut. Ça a été ma renaissance d’être à nouveau mère. J’étais persuadée de plus jamais être maman. Je me disais que j'avais forcément fait quelque chose mal pour avoir vécu ce drame. Et quand on fait du mal, dans la religion, on est puni. *

Cette logique a été chamboulée, lorsque je suis tombée enceinte. J’ai arrêté mes antidépresseurs, j’ai vraiment repris goût à la vie. Cette grossesse a été très attendue, je l’ai couvée, mais j’étais aussi remplie de doutes. J’avais peur de penser trop à Sylvain et Lucie… Mais je pense que, nous les mères, sommes capables d’aimer beaucoup d’enfants et que notre cœur s’agrandit à chaque naissance. Angélique est arrivée deux ans après, et j’étais aussi très heureuse d’avoir cette petite fille

Vos enfants sont-ils au courant ?

Ils l’ont su assez tôt, Thibaut avait 6 ans et Angélique 4 ans. Une photo de Sylvain et Lucie était affichée dans la chambre de mes parents, où ils allaient souvent jouer. Ils ont demandé qui étaient ces enfants sur la photo, et je leur ai dit : « ce sont les premiers enfants à maman, ils sont morts avec leur papa ». Thibaut, à ce moment-là, jouait avec une petite voiture, et il a dit : « ils ont eu un accident », alors j’ai cautionné sa théorie pour ne pas en dire trop, trop vite.

Je suis ensuite allé voir un psy avec eux. Thibaut était très coléreux et renfermé, Angélique à l’inverse en parlait tout le temps, même à l’école. Ils avaient globalement du mal à faire le deuil de ce frère et cette sœur qu’ils n’ont jamais connus mais qui sont si intiment liés à leur histoire.

Ils ont pensé être des enfants de remplacement, avant que je ne libère la parole.

Le temps a passé, et en 2002, Thibaut un jour vient me voir et me dit, alors qu’il avait 10 ou 11 ans : « maman je crois que Jacky il a fait exprès d’avoir un accident de voiture ». Il avait dû entendre ses grands cousins en discuter. Et là je lui ai tout dit. Ça a été une deuxième étape, encore plus violente, car je venais aussi de me séparer de leur père. Ils n’ont pas voulu le voir pendant un certain temps, avant que ce dernier ne trouve les bons mots pour les rassurer.

Ça fut un passage très lourd.

Mais à la fois, je ne regrette pas d’avoir dit les choses au moment où ils ont posé leurs questions. J’ai souvent imaginé qu’ils apprennent cette nouvelle une fois adultes, ce qui aurait été dévastateur.

Quand j’ai commencé à écrire mon livre, ils ont vu que j’allais de mieux en mieux, et j’ai commencé à parler un peu plus de leur frère et de leur sœur. Ils ont vu que leur maman allait mieux, et eux même allaient mieux.

Patricia Oddo : « Personne ne peut se mettre à ma place »

Vous avez décidé, par la suite, d’exhumer Lucie et Sylvain…

Patricia Oddo : Le jour où j’ai compris que je n’étais responsable de rien, en 2016, j’ai décidé une chose : dans la tombe où étaient enterrés Lucie, Sylvain et Jacky, il y avait une place pour moi. Je le savais et je ne voulais pas être enterrée avec eux. Du coup, j’ai organisé une cérémonie le 22 mars 2017, pendant laquelle on a exhumé les enfants, et ils ont été incinérés.

Au début, Thibaut et Angélique ne comprenaient pas trop. Mais ils ont tout les deux répondu présent. Angélique a lu un petit texte qu’elle avait écrit, c’était la première fois qu’elle appelait Lucie sa sœur. Ce fut un moment magique, très émouvant, un moment de libération.

Thibaut dit maintenant qu’il a compris beaucoup de choses, ce jour-là. Il sait que c’est notre histoire. C’est aussi pour ça qu’il était important pour moi d’écrire un livre, afin que Thibaut et Angélique connaissent leur histoire. Il fallait qu’ils deviennent adultes, et qu’ils vivent leur vie. Je ne pouvais pas les couver éternellement.

Vous avez eu du mal à laisser Lucie et Sylvain partir ?

J’ai eu des contacts avec d’autres mères endeuillées qui me disaient : « je ne pourrai jamais faire le deuil de mes enfants ». Je pense, parce qu’on a aussi peur du jugement des autres. Et puis, on a peur de moins les aimer si on les laisse partir.

Mais personne ne peut se mettre à ma place, il n’y a que moi qui sait ce dont j’ai besoin aujourd’hui. Quand on vit un tel drame, il faut éviter de rester dans le passé, dans la douleur. J’étais dans l’amour, et j’essayais de vivre au jour le jour.Chaque matin, je me disais : « je vais tenir jusqu’à ce soir », et puis : « j’ai réussi à tenir une semaine, je vais tenir une semaine de plus » et après c’étaient des mois, des années. Je voulais tenir cette promesse le plus longtemps possible.

En septembre 2014, Éric, le père de Thibaut et Angélique est décédé, c’était une épreuve très difficile pour eux et pour moi. Il était le seul homme qui a véritablement cru en moi. Le 5 septembre, l’anniversaire de la mort de Lucie et Sylvain, il m’envoyait un message tous les ans. On avait de bons rapports, même après notre séparation.

Cette année-là, je me souviens que la mort m’a traversé. Voilà pourquoi l’écriture du livre m’a paru essentielle. Je ne voulais pas m’apitoyer sur mon sort, je voulais essayer d’en faire quelque chose, rebondir et me faire violence. Je me disais : « est-ce que Lucie et Sylvain seraient fiers de toi ? »

Je voulais que ce livre soit aussi beau que l’amour que je porte pour mes 4 enfants, et je me suis fait aidée par un coach qui m’a appris des techniques d’écriture, il m’a fait retravailler mon texte, pour répondre aux questions du lecteur, et j’ai vraiment été au bout des choses. Ça a été vraiment une autre aventure, extrêmement libératrice et salvatrice.

J’ai ensuite renoué avec ma spiritualité, et j’ai rencontré la sophrologie, qui est devenue une passion.

J’ai compris que mon corps avait encore des choses bien stockées. Toutes ces tensions, ces blocages, le corps s’en souvenait, il ne triche pas. Je me suis formée et aujourd’hui, je suis devenue sophrologue. J’accompagne à mon tour des gens, je leur transmets toutes ces choses qui m’ont aidée.

Patricia Oddo : « On peut survire à tout »

Quel est le message que vous souhaitez faire passer en témoignant ?

Patricia Oddo : On peut survivre à tout. C’est même presque terrifiant quand on y pense. Je savais bien sûr que plus rien ne serait pareil, c’est comme si une tempête avait ravagé tout sur son passage, et moi je restai là, il fallait que je me reconstruise.

Comment on fait pour survivre ? Le pardon, pour moi, est essentiel. Le pardon ultime, car je me suis aussi pardonné à moi-même, et bien plus tard. J’ai pardonné à Jacky il y a 30 ans, et à moi-même, il n’y a que 4 ans.

L’amour aussi : il faut donner et accepter l’amour, c’est extrêmement nourrissant. L’écriture aide beaucoup également. Et la foi : croire en soi, en quelque chose de plus fort que nous. Je suis convaincue que j’ai été à la fois guidée dans ma reconstruction par mes enfants ou par une énergie, celle de mes ancêtres peut-être…

On a tous en nous quelque chose. Il y a tellement de gens qui s’enferment dans le négatif, car on a peur de se retrouver face à soi-même, de voir nos côtés sombres. Mais finalement j’ai découvert en moi une femme courageuse, qui a des valeurs, qui aime.

Aujourd’hui je suis fière de moi. Mais ça n’a pas toujours été le cas. La première fois où j’ai plus dire à haute voix « je n’ai plus honte, je suis fière de mon parcours », ça a été une libération, une thérapie, une affirmation.

Je n’ai plus honte. Et quand on a plus honte, on s’affirme. Je ne regrette rien, et ça surprend. J’assume.

L’espérance est aussi importante. J’ai toujours eu l'espoir que le lendemain soit meilleur que la veille.

Et puis, il faut se moquer du qu’en dira-t-on, oser, avoir le courage d’être soi. Enfin, être plein de gratitude quand un évènement heureux et joyeux arrive. L’apprécier, et se nourrir de ce positif.

Survivre au pire, de Patricia Oddo, aux éditions Max Milo.