« Pacte suicidaire » tragique : un père de famille jugé pour double assassinatAFP
Depuis lundi 7 mars 2022, Charles-Olivier Adde comparaît devant les assises de l'Hérault pour un crime à peine imaginable. En juillet 2019, le père de famille de 42 ans aurait sauvagement abattu sa femme et leur petite dernière, âgée de seulement 20 mois. Il devait ensuite, selon un « pacte suicidaire » scellé avec son épouse, tuer leurs deux autres fils, et se donner la mort à son tour… Tout ça pour échapper aux services sociaux. Mais il s'est ravisé. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
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Durant trois jours, la cour d’assises de l’Hérault va tenter de comprendre le terrible geste de cet homme sans histoires, jugé pour « double assassinat ».

En 2019, Charles-Olivier Adde, 42 ans, est cadre dans une entreprise de restauration bio de Lodève, une commune à 45 kilomètres de Montpellier. Il vit avec sa femme Samantha, 43 ans, et leurs trois enfants, deux garçons de 7 et 11 ans, et une petite fille d’un an et demi, dans un pavillon de Rives, à la frontière de l’Aveyron. En apparence, la petite famille est idyllique.

Pourtant, le 17 juillet 2019, Charles-Olivier se serait emparé d’un fusil pour abattre de plusieurs balles dans le crâne son épouse, ainsi que leur bébé, la petite Ombeline, 20 mois. Il cache ensuite les corps sous des couvertures, et prend la route, direction la Bretagne, où séjournent ses deux fils, hébergés par leur grand-mère. Il exécuterait ainsi un « plan », minutieusement pensé par sa femme, qui consiste à supprimer toute la famille, avant de s’ôter la vie lui-même, de sorte à ce qu’ils soient tous « réunis ».

Mais lorsqu’il récupère ses fils, il se rétracte. Interpellé par les gendarmes, il explique les raisons de son geste.

Un « suicide collectif » pour échapper au placement de leur fille

Sa femme et lui auraient décidé d’un véritable « suicide collectif » pour échapper aux services sociaux. Le couple avait rendez-vous le lendemain pour faire hospitaliser leur petite dernière, qui peine à prendre du poids. Depuis un premier séjour du bébé à l’hôpital en février, la famille était suivie par l’Aide sociale à l’Enfance, qui soupçonnait les parents de maltraitances. Car la petite Ombeline était sérieusement dénutrie. La juge des enfants avait d’ailleurs décidé, le 10 juillet, son placement provisoire. Les parents, paniqués à l’idée de perdre leur bébé, avaient donc décidé d’un « suicide collectif ».

Aux enquêteurs, Charles-Olivier déclare qu’il n’a pas pu aller au bout du plan terrible, en pensant à l’avenir de ses fils.

« J'ai récupéré mes enfants, c’était très difficile, je les voyais, je pensais à eux et je savais ce qu’il fallait que je fasse. J’ai commencé à émettre des changements dans ce plan, j’étais perdu, je ne savais plus. » a-t-il également confié lors du premier jour de son procès lundi 8 mars.

Pour lui, il a ainsi manqué « à sa promesse de se retrouver tous là-haut ». Une promesse qu’il aurait faite à son épouse, par amour. « On était en souffrance avec ma femme », avait-il confié en garde-à-vue, à l’issue de laquelle il avait été mis en examen pour « double assassinat ».

Aujourd’hui, il veut être « en mesure d’expliquer à ses deux garçons plus tard », a déclaré son avocat, Me Jean-Marc Darrigade. Mais peut-on vraiment expliquer l’impensable ?

Un mode de vie inquiétant

Pour comprendre ce « pacte suicidaire » entre les époux, l’enquête s’est penchée, durant 3 ans, sur le quotidien de cette famille en apparence normale.

En réalité, selon leur entourage, le foyer vivait presque en « autarcie ». Parents et enfants vivaient repliés sur eux-mêmes, isolés de la communauté. Les garçons, déscolarisés, était éduqués à la maison par leur maman, Samantha, psychologue de formation et autrice de plusieurs ouvrages pour enfants.

Décrite comme « introvertie » et « sauvage », cette dernière avait aussi imposé à sa famille un régime végétarien très strict. L’aîné, âgé de 11 ans à l’époque du drame, souffrait d’un grave diabète. Les enfants n’étaient pas non plus vaccinés.

Charles-Olivier était-il sous emprise de sa femme ? Les psychiatres ont écarté cette hypothèse, parlant plutôt d’un couple « fusionnel » et d’un homme « détaché du monde extérieur ». Mais ils ont retenu l’altération de son discernement au moment des faits, « en raison de sa peur de la date butoir du placement de leur fille, qu’ils vivaient comme un véritable drame ».

Pour l’accusé, la décision était bien le fait du couple, et non de sa femme uniquement : il assure avoir été en pleine possession de son libre-arbitre au moment des faits.

La petite Ombeline était-elle victime de maltraitances ?

Le sort d’Ombeline, la petite fille abattue et qui faisait l’objet de la mesure de placement ayant ultimement provoqué le passage à l’acte du père de famille, a également été au cœur de l’enquête.

Née le 28 novembre 2017, Ombeline est hospitalisée une première fois un peu plus d'an plus tard, pour une infection urinaire. C’est là que les services sociaux commencent à s’intéresser à la famille. Car à 16 mois, Ombeline ne pèse que 7 kilos. Elle est nourrie uniquement de lait maternel.

Mais devant le personnel médical inquiet, Samantha, la mère de famille, semble camper sur ses positions. Les médecins voient d’un mauvais œil la relation « pathologique » qu’elle semble entretenir avec sa fillette. « Elle refusait que son rôle maternel, qu’elle pensait idéal, soit remis en cause par le corps médical », précise par ailleurs l’enquêtrice de personnalité.

En juillet 2019, lorsqu’Ombeline retourne à l’hôpital elle est sévèrement dénutrie. La juge pour enfants décide de son placement provisoire dans un service de pédiatrie.

La magistrate devait statuer sur un placement plus durable le 23 juillet. Ombeline sera abattue quelques jours avant.

«On ne comprenait pas pourquoi on s’acharnait sur nous alors qu’on s’était toujours bien occupés de nos enfants », a confié Charles-Olivier Abbe depuis le box des accusés, au premier jour de son procès.

Comment vont les fils rescapés ?

Les deux fils du couple, qui ont échappé ce jour-là au pire, sont aujourd’hui âgé de 15 et 11 ans. Ils vivent désormais chez leur grand-mère paternelle et vont à l’école. Ils tentent, autant que faire se peut, d'avoir une vie « normale ».

Ils sont également toujours en contact avec leur père. Mais ils n’assisteront pas aux audiences qui doivent décider de son sort.

« Ils savent que nous sommes là pour répondre à leurs questions, trouver des mots pour leur traduire le plus justement possible ce qui va se dire durant les débats et leur ouvrir le dossier un jour, s’ils en éprouvaient le besoin », ont précisé Mes Michaël et Chantal Corbier, qui les représentent.

A la barre, lors du premier jour des audiences lundi 7 mars 2022, leur père a décrit devant la cour son terrible geste avec force détails : « Je me souviens que je pleurais. J’ai eu ce moment d’hésitation, j’ai posé l’arme, Samantha s’est relevée on s’est serrés dans les bras, on a parlé un peu, c’était rapide, elle m’a dit qu’il fallait qu’on le fasse. Que c’était invivable. Vous perdez tout point de repère, vous n'êtes plus présent. On s’est échangés encore des "je t'aime". »

Le verdict est attendu mercredi 9 mars 2022. Charles-Olivier Abbe encourt la réclusion criminelle à perpétuité.