Quand l'hypnose aide les enquêtes judiciairesIstock
L'hypnose, vous avez déjà essayé ? Cette technique fascine, et on la prendrait à tort pour quelque chose de mystique. Pourtant, l'hypnothérapie est une science qui a fait ses preuves… Notamment en matière de justice. Dans certaines affaires, ces techniques ont été utilisées sur des suspects, ou des témoins pour faire avancer l'enquête. Evelyne Josse, hypnothérapeute experte pour les tribunaux, psychologue, et formatrice, nous livre les secrets de cette pratique.
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Et si l’hypnose permettait de résoudre les plus grands mystères judiciaires de ces dernières années ? Cette pratique, qui consiste en une modification de l’état de conscience des sujets, permettrait, selon certains experts, de retrouver des souvenirs enfouis et de découvrir certains secrets bien gardés.

Pourtant, en France, l’hypnose n’est pas reconnue par le droit. « , les deux seuls moyens de preuve reconnus légalement sont l’interrogatoire et l’expertise. L’hypnose ne fait donc pas partie de ces moyens et peut donc être rejetée à ce titre par les magistrats », nous explique Evelyne Josse, hypnothérapeute et psychologue. Cette professionnelle reconnue est une habituée des affaires judiciaires : la justice Belge, notamment, a souvent fait appel à son expertise pour pratiquer l’hypnose sur des témoins ou des victimes.

Ces enquêtes où l’hypnose a été utilisée

Mais en France, l’utilisation de l’hypnose judiciaire reste taboue. Il y a pourtant bien quelques cas où cette technique a été employée.

En 1998, notamment, le parquet de Rennes fait appel à un hypnothérapeute pour aider un gendarme à se remémorer la plaque d’immatriculation d’un véhicule de braqueurs. Son audition sera toutefois annulée quelques mois plus tard par la Cour de cassation.

Un an plus tard, le même professionnel est réquisitionné par la Justice pour entendre, sous hypnose, le mari d’une femme, tuée et découpée dans le Gard. Lors de cette séance, ce dernier va alors livrer des détails très précis sur le meurtre. Il sera mis en examen dans la foulée. Mais là aussi, son témoignage finira par être invalidé par la Justice.

Enfin, en juin 1998, les enquêteurs étudiant la disparition de la jeune Marie-Hélène Gonzalez, à Perpignan, vont entendre plusieurs témoins sous hypnose, dans l’espoir qu’ils livrent des détails permettant de retrouver son corps.

Plus récemment, en 2013, Mathieu Buelens, ex gendarme suspecté de l’assassinat d’une octogénaire, aurait été auditionné sous hypnose le jour de la reconstitution des faits, dans le fourgon de gendarmerie. Pour Evelyne Josse, « cette façon de procéder contrevient à toutes les règles en matière d’hypnose ».

L'hypnose judiciaire : une pratique taboue ?

Car la plupart du temps, les enquêteurs qui font appel à des hypnothérapeutes ne savent pas s’y prendre, et ces actes jugés tabous restent tapis dans l’ombre du dossier.

Dans un arrêt datant de décembre 2000, la Cour de cassation précise : « l’hypnose n’est pas un procédé interdit mais représente actuellement une technique encore expérimentale ».

Pourtant, nombreuses sont les affaires où l’hypnose s’est avérée d’une grande utilité. Pour comprendre comment cette technique fonctionne, et comment elle peut faire avancer certaines affaires, nous avons posé nos questions à Evelyne Josse.

Les principes de l'hypnose

Comment expliqueriez-vous l’hypnose à quelqu’un qui ne sait pas de quoi il s’agit ?

Evelyne Josse : L’hypnose est essentiellement un état d’attention hautement focalisée. En hypnose, on se concentre sur des images internes, par exemple, sur un bon souvenir, sur des sensations, par exemple, sur la lourdeur progressive du corps ou sur la respiration, ou sur des émotions, par exemple, sur la joie que l’on peut éprouver quand on a réussi quelque chose de vraiment important pour soi. On est tellement absorbé qu’on s’extrait de la réalité extérieure à laquelle on devient momentanément indifférent. Simultanément, l’effet zoom donne une importance accrue à ces processus internes.

Prenons un film de Hitchcock. Lorsque nous sommes captivés par le suspens du film, certains spectateurs hurlent plus fort que la victime elle-même quand le tueur fait irruption, armé d’un long couteau effilé. Ces spectateurs savent qu’ils sont au cinéma, mais ils sont tellement envoûtés par le film qu’ils le vivent intensément, presque comme si les scènes étaient réelles. Ils sont « dans le film ».

C’est ce que les cinéphiles appellent être bon public et que nous, les hypnothérapeutes, nous qualifions d’état hypnotique. Ces spectateurs ne sont pas endormis. Ils ne sont même pas relaxés. Ils peuvent ignorer leur voisin et ne pas les entendre tousser ou se goinfrer de pop-corn et lorsqu’ils perçoivent les bruits, ils n’en sont pas dérangés.

L’hypnose peut-elle être pratiquée sur tous types de personnes ?

Evelyne Josse : En fait, l’hypnose est un état physiologique banal que nous connaissons tous. Si vous êtes automobiliste, vous aurez remarqué que lorsque vous êtes absorbé par un sujet qui vous préoccupe, vous pouvez conduire d’une manière automatique et ne pas remarquer le chemin parcouru.

De même, vous avez peut-être déjà vécu un état second appelé « hypnose des autoroutes » lorsque vous circulez seul dans une ambiance silencieuse sur une route bordée d’arbres qui défilent à toute vitesse. Si vous êtes cinéphile ou passionné de littérature, il vous est probablement arrivé d’être « pris » par une histoire au point de ne pas entendre les propos d’une personne s’adressant à vous. Si vous êtes passionné d’informatique ou de jeux vidéo, vous savez comme il est facile d’oublier le temps qui passe. Vous avez aussi certainement « décroché » de la réalité extérieure, dans une réunion, une salle d’attente ou un hall de gare pour vous absorber en vous-même. Dans toutes ces situations, vous avez expérimenté une « transe quotidienne ordinaire ».

Ces états ont en commun un déplacement spontané de notre attention vers des stimuli internes. Nous traversons ce type d’état hypnotique chaque jour toutes les 90 à 100 minutes

Durant ces phases, certaines parties de notre cerveau se mettent au repos tandis que d’autres sont activées permettant ainsi un fonctionnement différent nécessaire à l’organisation mentale des informations et des expériences vécues.

L’hypnose est donc un mode de fonctionnement neurophysiologique naturel et inné, et l’hypnose thérapeutique n’est que l’amplification de ce phénomène.

Donc, oui, comme il s’agit d’un fonctionnement banal que nous connaissons tous, on peut faire de l’hypnose avec tout le monde. Ceci dit, certaines personnes vont avoir des états hypnotiques d’excellente qualité, d’autres moins de moins bonne qualité.

« L’hypnose a un côté mystérieux qui a toujours fait peur »

Est-ce courant de faire appel à l’hypnose dans les enquêtes judiciaires ?

Evelyne Josse : Non, ce n’est pas courant. L’hypnose judiciaire est pratiquée en Belgique, au Québec et aux États-Unis.

En France, elle est prohibée. Même dans les pays où elle est pratiquée, son avenir est compromis.

En Belgique, par exemple, le service des sciences comportementales de la police fédérale a décidé d’arrêter l’hypnose judiciaire il y a quelques années. Un magistrat peut toujours saisir un expert en hypnose judiciaire, mais le service n’assure plus la logistique et le conseil. La méthode a toujours été controversée et pourtant, elle a prouvé son efficacité dans de nombreux dossiers.

Vous savez, l’hypnose a un côté mystérieux qui a toujours fait un peu peur. Personnellement, je pense que la décision de la direction de la Police technique et scientifique de ne plus recourir à l’hypnose dans le cadre judiciaire est regrettable.

Mémoire enfouie, souvenirs retrouvés : les possibilités incroyables de l’hypnose

Quelles sont les possibilités offertes par l’hypnose dans le cadre d’entretiens liées à des affaires judiciaires ?

Evelyne Josse : L’hypnose offre des possibilités que l’entretien cognitif n’offre pas.

Il m’est, par exemple, souvent arrivé de devoir utiliser des techniques hypnotiques très complexes pour retrouver des éléments d’une situation.

Je vais vous raconter un cas. Un jeune homme a été victime d’une tentative d’homicide. Alors qu’il était face à la devanture d’un magasin, des individus ont tiré des coups de feu dans sa direction. Il s’est retourné et a vu une voiture s’enfuir à vive allure. Sous le choc, il n’a pas eu la présence d’esprit de regarder, et encore moins de mémoriser, la plaque minéralogique.

En hypnose, je l’ai ramené dans la scène, j’ai tenté de lui faire revoir la voiture et la plaque, mais en vain. J’ai alors utilisé une technique particulière que seule l’hypnose permet. J’ai emmené une partie de son esprit dans la situation critique et l’autre partie, en vacances. Il a retrouvé trois lettres de la plaque d’immatriculation, ce qui est suffisant à identifier un véhicule lorsqu’on en connait le modèle et la couleur.

A la sortie de l’état hypnotique, il n’avait gardé que le plaisir d’être parti en vacances où mon induction l’avait mené ; il n’avait aucun souvenir d’avoir livré des informations sur la fusillade et consciemment, il ne se rappelait pas des trois lettres retrouvées en hypnose !

Quels sont, selon vous, les avantages de l’hypnose judiciaire ?

Evelyne Josse : Comparé à un rappel en état de conscience habituel, l’hypnose permet de récupérer un plus grand nombre d’informations.

Je vais vous donner un exemple. J’ai vu un témoin dans le cadre d’un homicide. Lors de sa déposition, il a déclaré que l’agresseur avait tiré trois coups de feu et que la jeune victime, surprise, était restée assise sans avoir eu le réflexe de se protéger.

Ses déclarations ne correspondaient pas au constat du médecin légiste. C’était très stressant pour lui parce que cela posait question quant à son rôle au moment de l’homicide. Il avait donc tout intérêt à se souvenir, mais malgré la force de sa volonté à se rappeler, ses efforts sont restés vains.

En hypnose, il a retrouvé le déroulement exact des faits : il a revu la victime se jeter au sol dans un geste désespéré, il a entendu les deux coups de feu tirés par l’assassin et a visualisé la victime gisant sur le dos, le T-shirt relevé en accordéon sur le ventre laissant apparaître, dépassant du pantalon, la marque commerciale du boxer inscrite sur l’élastique de la ceinture du sous-vêtement.

La fiabilité des souvenirs récupérés par hypnose n’est pas supérieure à celle des souvenirs ordinaires. Mais l’hypnose judiciaire a prouvé son efficacité dans de nombreux dossiers.

En effet, dans 60% des cas, elle permet de récupérer de nouvelles informations utiles à la progression de l’enquête.

En Belgique, les témoignages en hypnose ne sont pas considérés comme des moyens légaux de preuve. Les informations obtenues par cette technique ne servent qu’à orienter l’enquête et doivent être corroborés par des éléments objectifs.

L'hypnose appliquée aux criminels

Un sujet manipulateur peut-il mentir sous hypnose ?

Evelyne Josse : Oui, on peut mentir sous hypnose et on peut simuler un état hypnotique. C’est une des raisons pour lesquelles en Belgique, on ne pratique l’hypnose qu’avec les témoins et les victimes, pas avec les suspects.

Un auteur pourrait feindre un état de conscience modifié et raconter les faits à son avantage pour prouver sa bonne foi ou son innocence. Sous le couvert d’un état d’hypnose, réel ou feint, une personne incriminée pourrait aussi profiter de tenter de se disculper en dénonçant ou en chargeant un complice.

En France, Cécile Bourgeon, condamnée pour le meurtre de sa fille Fiona, a parlé d’utiliser l’hypnose pour retrouver l’endroit où elle l’aurait enterrée. Est-ce un cas où l’hypnose pourrait être adaptée, et porter ses fruits ?

Evelyne Josse : Cette affaire a été jugée. Quels que soit les éléments que Madame Bourgeon puisse retrouver, ils ne peuvent pas infléchir une décision de justice.

Il n’y a donc aucun obstacle, à mon sens, à ce que soit procédé des entretiens sous hypnose. Si l’affaire n’avait pas été jugée, les magistrats ne devraient pas répondre à la demande de Madame Bourgeon.

Lors de son jugement, elle pourrait dénoncer le fait d’avoir livré des informations dans un état de conscience modifié à son insu. Elle pourrait ainsi déclarer avoir subi une forme de contrainte à faire des déclarations. Son jugement pourrait être cassé par la cour de cassation si elle invoque une entrave aux droits de la défense.

Aveux sous hypnose, faux témoignages : « L’hypnose judiciaire pose de nombreuses questions »

Existe-t-il des faux témoignages, ou des faux souvenirs en hypnose ?

Evelyne Josse : C’est vrai, la validité des souvenirs ravivés par hypnose est souvent mise en doute par le risque d’engendrer de faux souvenirs. Mais les faux souvenirs peuvent aussi être créés hors hypnose, dans un état de conscience ordinaire.

Une psychologue américaine, Elizabeth Loftus, a prouvé qu’il est possible de créer de faux souvenirs à l’état d’éveil habituel par la simple exposition à des informations erronées. Dans une étude, elle a demandé à des personnes de se remémorer des événements d’enfance rapportés par des membres de leur famille.

A ces informations authentiques, elle a associé une expérience fictive : elle a fait croire à ces personnes qu’elles se sont égarées dans un centre commercial à l’âge de cinq ans. Près d’un tiers d’entre elles se sont appropriées ce faux souvenir et se sont « rappelées » s’être perdues dans la grande surface !

Les informations obtenues par l’hypnose ne sont que des éléments récoltés parmi d’autres. A elles seules, ces données sont insuffisantes et ne peuvent pas constituer la base sur laquelle une arrestation est décidée et un jugement prononcé. Rien ne garantit donc la fiabilité des informations récupérées en hypnose, mais rien ne garantit non plus l’exactitude des souvenirs ordinaires

Peut-on, à l'inverse, avoir un faux souvenir et retrouver le vrai grâce à l'hypnose ?

Evelyne Josse : Je vais vous donner un exemple qui montre qu’on peut, en effet, avoir de faux souvenirs hors hypnose, et retrouver le vrai souvenir en hypnose. Suite à une attaque de banque, les policiers enquêtaient sur des individus soupçonnés d’être les agresseurs en repérage. Ces derniers avaient été aperçus dans le quartier du gérant quelques jours avant l’attaque de la banque. Lors de sa déclaration, un témoin a affirmé avoir vu trois hommes de type magrébin, aux yeux foncés et cheveux bouclés. En hypnose, il a été stupéfait de constater que les hommes avaient les yeux verts et les cheveux châtains, ce qui lui a fait penser qu’ils étaient originaires d’Europe de l’est.

L’enquête confirmera l’authenticité des éléments du souvenir ravivé en hypnose. Nous le voyons, si le phénomène des faux souvenirs existe en hypnose, il se produit également hors hypnose et l’état de conscience modifié peut, dans certains cas, permettre de retrouver les informations correctes.

Quels sont les inconvénients majeurs de l’hypnose judiciaire selon vous ?

Evelyne Josse : L’inconvénient majeur, c’est probablement l’hypnotiste lui-même. Mener des entretiens en hypnose judiciaire demande une expérience et une expertise que les hypnothérapeutes n’ont pas.

En hypnose thérapeutique, nous utilisons des suggestions pour aider le patient à évoluer et à résoudre ses difficultés. Or, en hypnose judiciaire, les suggestions doivent impérativement être évitées au risque d’induire des faux souvenirs.

L’expert en hypnose judiciaire doit contrôler son comportement et adopter une attitude neutre. Il doit être attentif à la manière dont il interroge le témoin ou la victime et ses questions doivent être ouvertes.

Par exemple, il ne peut pas demander : « L’auteur portait-il la barbe ? » parce que la personne en hypnose pourrait voir l’agresseur avec une barbe alors qu’il n’en avait pas, l’hypnotiste doit plutôt demander : « Décrivez-moi son visage. Faites-en le tour et dites-moi ce que vous voyez ».

Il n’insiste pas si le sujet estime ne plus avoir de nouvelles informations à livrer. Procéder autrement risquerait d’induire de faux souvenirs.

Le monde de la justice a-t-il encore des préjugés sur l’hypnose ? Les magistrats, enquêteurs, sont-ils réfractaires à lui faire appel (notamment en France), et pourquoi ?

Evelyne Josse : Cela ne fait aucun doute, le monde de la justice est réfractaire à l’hypnose. C’est vrai que l’hypnose conserve une réputation sulfureuse, probablement liée à l’hypnose de spectacle.

Les faux-souvenirs et le risque d’induire des erreurs par suggestion jouent également un rôle majeur dans le rejet de cette méthode.

De plus, l’hypnose pose aussi de nombreuses questions d’un point de vue purement juridique. Pour ne citer que quelques exemples, elle n’entre ni dans le cadre légal du témoignage, comme nous l’avons vu avec la difficulté de la prestation de serment, ni dans celui de l’expertise. L’audition est réservée aux enquêteurs, ce qui pose problème si l’hypnotiste n’est pas enquêteur, mais un expert indépendant.

En ce qui concerne une personne arrêtée par les policiers ou traduite devant un juge, des aveux obtenus sous hypnose pourraient constituer une atteinte aux droits de la défense parce qu’elle a le droit de garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer. Vous le voyez, l’hypnose judiciaire pose de nombreuses questions complexes.

En France, des jugements ont été cassé par la cour de cassation. Si la France veut recourir à cette méthode utile, notamment lorsque les indices à disposition des enquêteurs sont insuffisants à faire émerger la vérité, il est indispensable qu’elle se dote comme la Belgique d’un cadre procédural strict.

Par exemple, ne réserver les entretiens en hypnose qu’aux victimes et aux témoins consentants, à la demande expresse d’un magistrat, dans un local de la gendarmerie aménagé pour les entretiens audio-filmés, etc.

En Belgique, les enquêteurs et les magistrats qui avaient en recours à l’hypnose dans des affaires étaient très favorables à cette méthode et regrettent qu’elle ne soit plus aussi facilement accessible pour leurs enquêtes.