Quel fait divers est à l’origine de l’affaire Calas ?
Au XVIIIe siècle, un suicide se transforme en affaire d'Etat à Toulouse, autour de la famille Calas. Elle est protestante dans une ville farouchement catholique, ce qui conduit à une des plus grandes erreurs judiciaires de l'Histoire.
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Une des plus grandes erreurs judiciaires de l’Histoire. Pour comprendre l’affaire Calas, il faut revenir 250 ans en arrière, dans un royaume de France où on fait la chasse aux protestants. L’Edit de Nantes de 1598 – qui reconnaît la liberté de culte aux protestants – a été révoqué par Louis XIV en 1685 et, depuis, les « dragonnades » sont légion pour convertir les protestants.

Affaire Calas : le suicide de Marc-Antoine Calas

En 1761, Toulouse est une ville farouchement catholique, mais la famille Calas est protestante. Le père, Jean, et la mère, Anne Rose, ont eu six enfants, dont quatre garçons. Parmi eux, Marc-Antoine et Pierre, qui viennent dîner chez leurs parents le soir du 13 octobre. Comme l’explique le ministère de la Justice, le premier est décrit par son entourage comme « taciturne et mélancolique ». Il se rêvait avocat, mais la loi interdit alors l’accès à cette profession aux protestants. 

Après un dîner à l’étage – juste au-dessus de la boutique – le jeune homme part se promener, comme à son habitude. Il est 19h30 et personne ne s’inquiète de ce départ soudain, dont il est coutumier. Ce n’est que vers 22 heures que son frère Pierre, accompagné d’un ami qui dinait avec eux ce soir-là, découvre le corps de Marc-Antoine, pendu entre les deux battants de la porte du magasin. 

Prévenu, Jean Calas décide de décrocher le corps et de l’allonger au sol. Pourquoi ? Parce qu’au milieu du XVIIIe siècle, un suicidé est jugé pour « homicide de soi-même ». Son corps, nu, est étendu face contre terre, montré à la foule avant d’être suspendu à une potence. La famille du défunt voulait-elle lui éviter ce traitement infamant ? Alertée par les cris venus de la boutique, la foule ne tarde pas à se réunir et se fait vite une idée de ce qu’il s’est passé : pour de nombreuses personnes, Jean Calas a tué son fils Marc-Antoine car il voulait se convertir au catholicisme. Cette rumeur n’en reste pas une, car elle arrive vite aux oreilles du capitoul, le magistrat de la ville de Toulouse. C’est à ce moment-là que commence l’affaire Calas.   

Affaire Calas : le mensonge de Jean Calas

Pour le capitoul, il ne fait aucun doute que Marc-Antoine Calas « n’était pas mort de mort naturelle », explique le ministère de la Justice. Arrêté, Jean Calas est auditionné le soir même, mais ne peut pas donner d’explication précise à la mort de son fils et dit seulement qu’il l’a retrouvé allongé par terre, sur le sol de sa boutique. Pour le magistrat, il ne fait aucun doute que le jeune homme a été tué par une personne du foyer et donc, forcément, un protestant. 

Face à la tournure que prennent les événements, Jean Callas décide de revenir sur sa version et affirme dès le lendemain avoir retrouvé son fils pendu à la porte. Il a menti pour protéger l’honneur de sa famille. C’est trop tard pour le capitoul qui n’attend qu’une chose : les aveux du commerçant…  

Affaire Calas : la condamnation à mort

Jugés le 18 novembre 1761, Jean Calas et sa famille sont condamnés à subir la question préalable avant jugement. Au XVIIIe siècle, il existe alors deux questions, l’ordinaire et l’extraordinaire. A Toulouse, explique le ministère de la Justice, la première est un étirement des membres du condamné par des palans. La seconde consiste à faire avaler une grande quantité d’eau au condamné, afin d’obtenir son aveu du crime. 

Les accusés font appel devant le Parlement de Toulouse, qui condamne à mort Jean Calas quelques mois plus tard, en mars 1762. Il doit également être soumis à la question ordinaire et à la question extraordinaire pour avouer son crime, puisqu’il n’y a rien dans le dossier. 

Le 10 mars 1762, au petit matin, Jean Calas n’avoue rien et continue de clamer son innocence, malgré la torture. Dans son arrêt, cité par le ministère, le Parlement de Toulouse prévoit que le bourreau « lui rompra et brisera bras, jambes, cuisses et reins, ensuite l’exposera sur une roue qui sera dressée tout auprès du dit échafaud, la face tournée vers le ciel pour y vivre en peine et repentance des dits crimes et méfaits (et servir d’exemple et donner de la terreur aux méchants) tout autant qu’il plaira à Dieu lui donner de la vie ». Après deux heures exposé sur la roue, Jean Calas est étranglé, puis son corps est jeté dans un bûcher. 

Si l’affaire fait grand bruit en France, il y a un philosophe en particulier qui s’y intéresse, Voltaire. Il mène alors l’enquête, reprenant les documents du dossier (toujours vide) et interrogeant les membres de la famille Calas. Il arrive à la conclusion que le père de famille n’a pas pu tuer son fils et commence alors une longue campagne pour la réhabilitation du condamné, ainsi que de sa famille. Cette dernière est finalement accordée en mars 1765, trois ans après la mort de Jean Calas. La veuve Anne Rose est reçue par Louis XV à Versailles et ce dernier lui accorde une pension de 36 000 livres.  

Crédit photo : ©Wikimedia Commons/Didier Descouens