Témoignage : leur mère a été violée dans un Ehpad, et la justice n'a rien faitIstock
En 2013, Denise, 92 ans, est victime d'un viol extrêmement violent au sein de son Ehpad, dans l'Ain. Elle décède un an plus tard. Depuis, sa famille se bat pour que justice lui soit rendue, mais pour l'heure, ils se heurtent à un mur.
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Denise était une femme coquette, joviale, pleine d'humour et à la langue bien pendue. A 92 ans, la vieille dame qui avait encore toute sa tête était hébergée dans un Ehpad de l’Ain depuis deux ans au moment des faits. « J’habite à côté, alors j’allais la voir tous les deux jours », nous confie sa fille, Monique. Elle lui apporte son linge, l’emmène promener, bref, Denise est loin d’être isolée dans cet établissement. Et au début, du, moins, ses quatre enfants ne remarquent rien. « L’établissement avait l’air correct », poursuit Monique.

Mais au fil des mois, Monique et ses frères et sœurs découvrent de nombreuses négligences. « Parfois, notre mère n’était pas lavée pendant 6 semaines. On était obligées de le faire nous-même », explique Monique.

« Bleue jusqu'au cou »

Le 7 avril 2013, Denise est retrouvée, en état de choc, dans les toilettes du premier étage, sur une chaise roulante qui n’est pas la sienne. Elle raconte avoir été agressée. Au même moment, par un « hasard » du calendrier, sa fille lui rend visite. Denise est « bleue, jusqu’au cou ». Elle a visiblement été tabassée. Mais le personnel de l’Ehpad refuse de rentrer dans les détails de ce qui a pu se passer.

« Si ma sœur n’était pas venue, on nous aurait probablement dit qu’elle était tombée dans les escaliers. Ils avaient déjà nettoyé les traces de sang », souffle Monique. L’établissement finit par appeler les gendarmes, une heure et quart après que Denise ait été retrouvée.

Le reste de la famille accourt à son chevet, et la vieille dame est transportée à l’hôpital. Les analyses mettront en évidence le calvaire subi par Denise : elle a des traces de coups et blessures, un traumatisme facial, une fracture du nez et de la pommette, et, comble de l’horreur, des lésions génitales. La nonagénaire a été violée.

Une enquête est immédiatement ouverte. Aux gendarmes, Denise raconte avoir été agressée non pas au premier étage, mais dans sa chambre, par un homme « vilain », qui lui aurait dit « je vais te tuer par tous les moyens ». Elle précise qu’il était accompagné d’une femme. Aucun juge d’instruction ne sera toutefois saisi pour poursuivre les investigations.

Ignorés par la justice

La famille de Denise décide alors de porter plainte. « L’Ehpad a tenté de nous en dissuader, en évoquant des problèmes d’assurance… c’est sûr que ça ne leur a pas fait plaisir », explique Monique. Malgré cette plainte, ce n’est que cinq mois après les faits qu’une enquête judiciaire est ouverte pour « viol sur personne vulnérable ».

Mais rien ne va être vraiment fait pour la manifestation de la vérité.

Pire encore, Denise va être complètement mise à l’écart dans son établissement. « On l’empêchait de participer aux activités », raconte sa fille. La vieille dame passe tout son temps dans sa chambre, et le personnel ne s’occupe pas d’elle.

Des séquelles terribles

« Ils nous même empêchés de la conduire à la fête des résidents, un jour. Je pense qu’ils avaient peur qu’elle y croise le coupable », relate Monique. Car pour elle, sa mère connaissait son agresseur. « Elle disait qu'elle ne voulait pas nous dire qui c'était pour ne pas nous faire de mal ». Au sein de son Ehpad, Denise avait peur, selon ses proches, de deux personnes, dont une infirmière.  

Après son agression, l’état de la vieille dame se dégrade de jour en jour. « Elle perdait la tête, et elle qui était si coquette, on aurait dit qu’elle n’avait plus envie de prendre soin d’elle », s’attriste sa fille.

La nonagénaire ne parle jamais de son agression. « Mais il lui arrivait de demander à ses petits-fils de dormir à côté d’elle, car, disait-elle, elle avait peur » confie Monique.

Le 30 mai 2014, un peu plus d’un an après son viol, Denise décède brutalement. Une blessure à son pied s’est nécrosée en quelques heures.

Quelques mois plus tard, la justice rend un non-lieu dans cette affaire.

Pour ces enfants, c’est la double-peine.

Leur combat n'est pas fini

Mais pour autant, Monique et sa fratrie ne veulent rien lâcher. « On s’est dit qu’on allait aller au bout au moins pour notre maman, même si depuis le début, tout n’est que mensonges dans cette affaire ».

Aidés d’un nouvel avocat, les enfants de Denise portent plainte au civil contre l'Ehpad.  Pour eux, non seulement l'établissement n’a rien fait pour les aider, mais ils auraient au contraire tenté d'étouffer l’affaire.

Au terme de 7 ans de procédure, en novembre 2021, l a Cour d’appel de Lyon a finalement confirmé la décision du tribunal administratif, qui avait reconnu en décembre 2019 « une faute de nature à engager la responsabilité de l’Ehpad », pour un défaut de surveillance et de contrôle des accès.

« On n'a pas pris au sérieux l'agression de ma mère »

Depuis, Monique et sa famille se sont également entourés de l’association Action Justice, qui les aide à avancer. « Sans eux, nous étions démunis », confie Monique. « Pendant toutes ces années, on n’a pas pris au sérieux l’agression de ma mère, on nous a mené en bateau, et on l’a isolée », s’indigne la Bressoise.

« En traitant en préliminaire ce dossier criminel, le Parquet a agi avec légèreté, tout en manifestant son peu de respect pour le viol d’une femme de 92 ans », résume, dans un rapport, Daniel Adam Salamon, membre de l’association qui accompagne la famille. Il pointe du doigt les nombreuses défaillances de l’enquête et du suivi judiciaire, mais aussi le silence de l’établissement.

Dans cette affaire, les questions demeurent nombreuses. La famille réfléchit désormais à porter plainte à nouveau, avec constitution de partie civile, pour relancer la procédure au pénal. 

En plein scandale sur les maltraitances dans les Ehpad, le témoignage des enfants de Denise a tout son poids. « Ces endroits, où c’est l’omerta, où tout le monde se renvoie le balle, c’est quand même quelque chose… il faut que ça change, et que de tels drames ne puissent plus se reproduire », conclut Monique.