TEMOIGNAGE Son ex-femme est une meurtrière : les confidences de Philippe Beau
Le 27 février 2012, Bettina Beau, une secrétaire de 41 ans, abat son patron de 6 balles dans le crâne. Pendant dix jours, elle cache son crime à tout son entourage. Avant de craquer, face à son mari, Philippe Beau. Ce jour-là, le monde de ce père de famille s'effondre. Dix ans plus tard, celui qui se considère comme une victime collatérale de l'affaire revient pour nous sur ce drame qui a bouleversé son existence.
Sommaire

Une secrétaire qui tue son patron : le drame, à l’époque, fait la une des journaux. Mais dans cette affaire, comme dans tant d’autres, une parole est souvent oubliée : celle des proches du criminel.

Le soir du 27 février 2012, à Saint-Paul-en-Jarez, dans la Loire, l’épouse de Philippe Gletty, un chef d’entreprise de 47 ans, s’inquiète. Le père de famille, qui gère une boîte spécialisée dans la fabrication et la pose de menuiserie en aluminium, n’est toujours pas rentré du travail. Elle signale sa disparition aux gendarmes. Après de nombreuses battues qui mobilisent toute la région, l’homme d’affaires est retrouvé, sans vie, le 4 mars, dans un bosquet. Il a été abattu de six balles dans le crâne.

Très vite, les enquêteurs soupçonnent sa maîtresse, qui est aussi sa secrétaire, Bettina Beau, une mère de famille de 41 ans.

« On le porte comme une croix »

A l’époque, elle est mariée avec Philippe Beau, un artiste peintre. Le couple vit ensemble depuis 24 ans ; ils ont une fille, adolescente. C’est à son mari que Bettina, acculée, va fini par avouer son terrible crime, 10 jours après le meurtre. Epuisée par son travail, elle aurait tué son patron lors d’un rendez-vous « coquin » avec le revolver de son mari. Elle ne supportait pas qu’il lui ait refusé une promotion.

En 2014, elle est condamnée à 18 ans de réclusion criminelle. En prison, elle divorce de Philippe Beau. Elle a bénéficié d’une libération conditionnelle en juin 2021.

Dix ans après le drame, son ex-mari, qui a raconté son histoire de « proche de criminel » dans un livre, Coupable d’Innocence, paru aux éditions Les Presses du Midi, a accepté de témoigner pour Enquêtes de vérité.

Dix ans plus tard, comment allez-vous ?Cette affaire marque-t-elle encore votre vie, votre quotidien ?

Philippe Beau : Evidemment, on ne peut pas balayer ce qu’il s’est passé, ça reste à vie. On apprend avec le temps à vivre avec. Dans ces affaires, il y a une grande difficulté sur le moment pour les proches de criminels, et cette difficulté va perdurer, on le sait. Il faut arriver à tourner des pages. Je n’ai jamais fermé le livre, et je ne le fermerais jamais. C’est en moi, elle a imposé cette souffrance à tout son entourage, et depuis, on le porte comme une croix.

Une vie « conventionnelle »

A quoi ressemblait votre relation avec Bettina ?

Philippe Beau : On a vécu 24 ans ensemble, ça n’est pas anodin. On s’est rencontrés de façon professionnelle, à l’époque j’étais commercial et elle était en stage de comptabilité gestion. Entre nous, ce fut le coup de foudre, et ça a été merveilleux pendant des années. Notre fille est arrivée, un cadeau supplémentaire de la vie. C’est sûr, comme dans tous les couples, il y avait des hauts et des bas.

Lorsqu’elle a rencontré Philippe Gletty, il était au départ salarié dans son entreprise, et elle, secrétaire. Quand il a décidé de créer sa société, il l’a convaincue de le suivre. J’ai appris qu’il y avait eu une relation entre eux, elle m’en avait fait part, mais elle m’avait dit que c’était terminé. J’avais laissé passer. Entre nous, il y avait une grande confiance. Nous avions une vie de couple des plus conventionnelles. Du moins, c’est ce que je pensais.

Comment vous décririez-vous Bettina ? Vous attendiez-vous un jour à la voir condamnée pour un tel crime ?

Philippe Beau : On est tous tombés à la renverse. C’était une femme très calme, posée, rarement en colère, rarement dans démesure. Mais l’enquête a prouvé qu’elle avait une face cachée.

Avez-vous remarqué des changements chez elle, dans les mois précédant le meurtre ?

Philippe Beau : Sur la dernière année, il y a eu un réel changement de son attitude. Elle était en désaccord avec son patron, elle m’en parlait de temps en temps, j’essayais de l’écouter et de trouver des solutions. Je lui ai conseillé de quitter l’entreprise si elle était trop malheureuse. Mais elle bloquait là-dessus : cette entreprise, ils l’avaient construite à deux, elle se sentait très impliquée, elle ne pouvait pas partir.

Au fil des mois, l’ai vu un « dépérir », elle était de plus en plus mal dans sa peau. C’est comme si elle était devenue un robot, sa vie c'était « métro boulot dodo », et nous, son entourage, on ne pouvait rien faire pour l’aider.

La descente aux enfers

Comment apprenez-vous le meurtre ?

Philippe Beau : Elle rentre un soir, le 27 février, et me dit tout de suite « J’avais rendez-vous avec Philippe cet après-midi, mais il n’est pas venu, et il était injoignable, alors je suis partie ».Sur le moment, je me suis dit que ça n’était rien, il avait surement eu un contre temps. En réalité, c’était le soir même du jour où elle avait tué Son plomb, son sang-froid m’étonne encore aujourd’hui.

Puis, il y a eu plusieurs jours d’attente, une enquête a été ouverte. Ils ont retrouvé le corps au bout de quelques jours, et les investigations se sont resserrées autour des proches de la victime. Je me doutais qu’ils allaient faire une perquisition à la maison, car elle était la plus proche collaboratrice de la victime.

Lorsque les gendarmes sont venus chez nous, ils ont découvert ma collection d’armes, car je suis brocanteur. Ils ont tout saisi. L’arme du crime était là, mais à ce moment-là, je n’en savais rien.

Le lendemain matin, elle a craqué. Elle savait qu’elle ne passerait pas à travers les mailles du filet. A 7 heures du matin, elle était à la table du salon, en train de pleurer. Je m’approche pour la consoler, et elle me dit : « je l’ai tué. Avec une de tes armes ». C’était le début de la descente aux enfers.

Ce jour-là, votre vie s’écroule ?

Philippe Beau : Tout à fait, surtout qu’en plus, j’ai été rapidement le coupable idéal, le mari jaloux qui a tué l’amant de sa femme, et c’était mon arme : tout semblait me désigner.

Lorsque j’ai accompagné ma femme à la gendarmerie après ses aveux, j’ai été placé en garde à vue pendant 48 heures, avant qu’un témoin ne se manifeste. C’était une personne qui m’avait téléphoné chez moi vers 11 heures le jour du crime, c’était un alibi solide.

De toute manière, mes empreintes n’apparaissaient nulle part, et Bettina avait déjà tout avoué. Elle était arrivée au bout de son mensonge, elle savait que c’était fini pour elle.

Un double visage

Pendant ces 10 jours où elle a caché son crime, remarquez-vous un changement chez elle ?

Philippe Beau : Elle a vécu tout à fait normalement pendant ces 10 jours. Elle va au travail, elle s’occupe de notre fille comme d’habitude. Il n’y avait rien qui aurait pu m’alerter. Elle était certes stressée, fatiguée, mais à l’époque je me disais que c’était normal, car son patron venait de disparaitre disparu, elle était sensible, je comprenais son état.

Comment expliquez-vous son passage à l’acte ?

Philippe Beau : Elle voulait le poste de numéro deux dans l’entreprise de Philippe Gletty, mais il lui a refusé, et il a nommé quelqu’un à sa place. Ça a été, je pense, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. C’est un crime d’orgueil. Il n’y a pas d’autre raison.

Elle a utilisé votre revolver… Vous êtes-vous senti coupable ?

Philippe Beau : Oui, bien évidemment. J’ai dit aux gendarmes, pendant ma garde à vue, que si je n’avais pas eu ses armes elle ne l’aurait pas tué. Mais ils m’ont dit que dans tous les cas, elle l’avait décidé, c’était un acte prémédité, elle aurait fini par trouver un moyen, une autre arme. Elle a été vers la facilité. Mais on se sent tout de même coupable, de pas avoir vu suffisamment les choses, de pas les avoir comprises.

Pendant l’enquête, vous découvrez un tout autre visage de votre femme…

Philippe Beau : Je me suis senti trahi. Avec l’enquête, pendant un an, j’ai découvert au fur et à mesure des éléments improbables, j’ai découvert une autre femme.

Elle avait un comportement différent entre la maison et son bureau, des attitudes dans la limite de la grossièreté, elle se vantait. Elle avait même fait des recherches, elle avait pris une longueur d’avance sur son crime. C’est comme si elle avait une double vie. Elle va aussi détourner de l’argent pendant 7 ans, et cet argent, on ne sait toujours pas ce qu’il est devenu. Il y a encore des mystères pour moi dans cette affaire…

On croit connaitre les gens, mais on ne les connait pas, surtout ceux qui peuvent paraitre « introvertis comme elle.

Proches de criminels, victimes à part entière

Comment avez-vous vécu le procès ?

Philippe Beau : Dès le départ dans une affaire comme celle-ci, vous êtes exposés, votre vie est disséquée et livrée en pâture. C’était compliqué au début, car ma fille était jeune, elle n’avait que 16 ans au moment des faits, un âge compliqué. Je voulais la protéger à tout prix, et il fallait rester dans la discrétion : tant que le procès n’avait pas eu lieu, il ne fallait rien livrer.

Mais je n’attendais rien du procès en tant que tel. J’avais déjà compris que c’était un crime d’orgueil.

La famille du disparu attendait des réponses, mais ils sont restés sur leur fin, elle n’a rien expliqué.

Vous avez récemment publié Coupable d’innocence, un livre pour raconter votre histoire de proche de criminel. Pourquoi cette démarche ?

Philippe Beau : Tout d’abord, écrire cette histoire a été un exutoire.

Mais j’ai aussi voulu faire passer un message, pour dire, d’une part, que ça n’arrive pas qu’aux autres, mais aussi que nous, les proches des criminels, nous sommes des victimes collatérales à part entière, et nous ne sommes pas considérées comme telles.

On est souvent, au contraire, associés aux criminels, montrés du doigts, et on a beau essayer de se tenir à l’écart du regard des autres, c’est difficile. Surtout à l’époque des réseaux sociaux.

On est salis, doublement. On subit. On est « coupable d’innocence » : on n’a rien fait mais est traités comme des coupables.

Comment va votre fille aujourd'hui ?

Ma fille, qui a désormais 26 ans, a réussi à tourner la page, et elle considère sa mère comme sa mère : elle ne cautionne pas ce qu’il s’est passé, mais elle se voient de temps en temps. La relation mère-fille existe.

Au départ, mon seul souci c’était de penser à ma fille. Elle a été très importante pour moi. Je dirai même qu'elle m’a sauvé la vie. Car dans ces situations, c’est compliqué de se relever sans motivation, sans quelque chose qui vous donne envie de vivre.

L'impossible pardon

Avez-vous des contacts, des nouvelles de votre ex-femme ? Elle a été libérée il y a quelques mois…

Philippe Beau : Non, ça ne m’intéresse pas. J’essaie de balayer mes souvenirs, mais c’est compliqué. J’habite encore dans notre maison, sa présence est encore toujours là. J’essaie d’avancer. Ça n’est pas une rupture classique, un divorce traditionnel. J’ai encore des sentiments pour l’ancienne femme, celle d’avant 2011, qui n’existe plus, et qui me manque encore.On avait une grande confiance sur tout, donc la trahison était énorme pour moi. Vous êtes trompés, et c’est encore aujourd’hui une grande difficulté, je ne peux pas refaire ma vie, je suis constamment le doute, dans la suspicion de l’autre.

Lui avez-vous pardonné ?

Philippe Beau : Le pardon, pour moi, est impossible. Car elle a touché à ce qui m’est le plus cher, ma fille. Elle n’a pas réfléchi au mal qu’elle allait faire aux gens, à sa propre famille. Si son geste était un coup de colère, là j’aurais pu pardonner. Mais là, c’est prémédité. Une mère dot penser à ses enfants, et elle n’y a pensé. Elle nous a imposé, surtout à sa fille, ce lourd fardeau.

A quoi ressemble votre vie aujourd’hui ?

Philippe Beau : J’ai repris une vie normale, de célibataire. Je me pose plus la question de savoir si je dois refaire ma vie, ce n’est pas important. Les petites habitudes s’installent, quand on vit seul. Mais je suis quelqu’un d’actif, de positif. Il y a des grands bonheurs : ma fille m’a offert une petite fille, et j’ai mes passions, mon métier et l’écriture, la musique.On apprend à vivre différemment. On ne peut pas revenir en arrière, il faut faire avec. Bien sûr, il y a des moments de grande solitude, de grande peine. Comme tout le monde.

Coupable d’innocence : nous proches de criminels, victimes à part entière, de Philippe Beau, aux éditions Les Presses du Midi